DIVISIONS TERRITORIALES EN FRANCE en 1789 par A. BRETTE

SOMMAIRE

LES ENCLAVES INTERIEURES

Le royaume de France dans son rapport avec les enclaves intérieures. - Ses limites à ce point de vue. - Justices ayant connaissance des cas royaux. - Confusion des ressorts. - Les présidiaux. - Les justices alternatives. - Terres indépendantes ou souveraines enclavées en France. - Comtat Venaissin et État d'Avignon. - Le comté de Sault. - Montbéliard. - Mandeure. - Principauté de Salm. - Comté de Saarverden. - Principauté de Bidache, etc.

Le royaume de France avait, à son action, d'autres limites encore que celles le séparant des puissances voisines; elles se rencontraient dans des enclaves sises à l'intérieur et possédées en souveraineté par des princes français ou étrangers. On n'aurait donc aperçu qu'une des faces de la question si l'on s'en tenait à ces premières considérations.

Les cartes les plus répandues indiquent bien, à vrai dire, quelques-unes de ces enclaves; mais, lorsqu'elles ont montré, sans réserves d'ailleurs sur les limites, le comtat Venaissin et l'État d'Avignon (en les confondant inexactement) et la principauté de Montbéliard, elles paraissent avoir épuisé le savoir possible. La convocation des États généraux, cependant, qui était un acte de l'administration judiciaire, nous montre, au point de vue des droits de la justice royale, un état de choses tout à fait différent: elles sont nombreuses, les enclaves dans lesquelles la justice du roi ne s'est pas exercée en 1789. Le défaut d'exercice de la justice sur un lieu déterminé, tel qu'il apparaît dans les procès-verbaux des assemblées bailliagères, a sans doute des causes diverses: l'ignorance des ressorts exacts, l'oubli de notification des ordres du roi, les erreurs dans la rédaction ou l'expédition des procès-verbaux et autres actes, etc. Il faut tenir compte de ces circonstances; mais, lorsque tout un territoire, ou, du moins, un ensemble de paroisses groupées, ne figurent pas aux procès-verbaux des bailliages et lorsque, encore, ces groupements correspondent à des terres connues, érigées en dignité et possédant, par exemple, la haute justice, on est en droit de croire que, dans ce territoire, un pouvoir prédominant s'est opposé à l'action des officiers du roi ayant connaissance des cas royaux.

Il faut bien dire, avant d'en venir à ces enclaves mêmes, que rien n'était plus confus que la justice royale (de quelque nom qu'elle fût décorée: bailliage, sénéchaussée, viguerie, prévôté, etc.), au sens de "justice ayant connaissance des cas royaux". On ne pourrait pas plus la délimiter que la définir. Le pouvoir royal, nous l'avons déjà vu, ne déterminait jamais dans ses actes les ressorts des justices; même dans les provisions des officiers, on ne relève jamais une allusion à ces limites, et le danger pour tous ceux qui écrivent sur ces matières sans avoir été au fond des choses, c'est que pas un doute n'apparaît et le pouvoir agit, règle, décrète, ordonne comme si les ressorts étaient immuablement fixés.

Les présidiaux présentent, de cette façon d'agir, un exemple très curieux. C'était, comme on sait, des tribunaux à action très restreinte (on disait le fretin présidial), unis, par l'édit de création de 1551, à un certain nombre de bailliages et ne pouvant en être séparés. Ils n'avaient en somme ni territoire, ni juridiction propres; tous les édits ou déclarations les concernant de 1551 à 1777 ne traitent jamais des limites des présidiaux, parce qu'il semble admis que ces limites seront celles des bailliages auxquels ils étaient unis, mais ce n'est qu'exceptionnellement que l'on trouve réglés les rapports des bailliages sièges présidiaux avec ceux qui n'avaient pas la présidialité. Une grave difficulté, d'ailleurs, doit être signalée: celle de reconnaître même dans les actes royaux les décisions relatives au présidial proprement dit et celles relatives au bailliage et siège présidial. Avant l'édit de 1751, il y avait, en effet, des juges présidiaux. Or l'usage s'établit de donner le nom de présidial au bailliage ayant la présidialité, bien que les deux sièges fussent unis seulement pour les cas de l'édit, le présidial n'existant pas sans le bailliage, mais le bailliage, comme siège royal, ayant sa vie propre et indépendante du présidial. De là des confusions sans nombre dans les ouvrages, même antérieurs à la Révolution, qui traitent des présidiaux. Il en est presque de même pour les justices royales, qui n'étaient pas uniquement et simplement, comme on le croit en général, des sièges de justice dont les officiers étaient pourvus directement par le roi. Le roi lui-même avait, dans certaines circonstances, en violation de l'ancien droit, délégué à des juges seigneuriaux le pouvoir de connaître des cas royaux. Dans le règlement royal du 24 janvier 1789, base de la convocation, il est déclaré que "l'on entendra par bailliage ou sénéchaussée tous les sièges auxquels la connaissance des cas royaux est attribuée". Or le pouvoir ignorait à ce point le nombre et les droits de ces sièges qu'il dut, dans ce règlement royal même, régler ce qui serait fait pour ceux "qui auraient pu être omis dans le présent état". D'autres exemples peuvent être cités: "La prévôté de Montmédy a été omise, écrit le garde des sceaux, parce que l'on a ignoré qu'elle eût la connaissance des cas royaux." Par contre, on avait cru Varennes en Argonne bailliage royal; le même garde des sceaux écrit: "C'était l'intention de Sa Majesté lorsqu'elle a fait le règlement, parce qu'elle croyait que Varennes était un bailliage royal. Elle a reconnu depuis que Varennes n'était qu'une justice seigneuriale.

Était-ce une justice royale que celle du Gévaudan, où la juridiction était en paréage entre le roi et l'évêque de Mende et exercée alternativement, une année à Marvejols par les juges nommés par le roi et une année à Mende par les juges de l'évêque? En violation, d'ailleurs, du règlement royal, plusieurs justices purement seigneuriales et n'ayant pas la connaissance des cas royaux exercèrent, en 1789, des fonctions qui, de la manière la plus formelle, étaient réservées aux seuls juges ayant connaissance des cas royaux.

Cet état de choses explique les incertitudes qui demeurent, avec les seuls documents connus aujourd'hui, sur les territoires enclavés en France et formant des principautés souveraines. Nous allons, sous réserves, et au seul point de vue qui nous occupe, passer rapidement en revue les principales.

Comtat Venaissin et État d'Avignon. - Les droits du roi, au titre de comte de Provence, sur les deux territoires soumis au pape à la suite de la cession faite en 1348 par la comtesse Jeanne, diffèrent essentiellement de ceux qui lui appartenaient sur d'autres terres assimilables pour l'ensemble. Nous renvoyons pour ce point aux ouvrages spéciaux. Les habitants étaient regnicoles. Tout le cours du Rhône appartenait à la France. La principauté d'Orange, dans laquelle s'exerça la convocation, formait dans le Comtat une enclave entièrement séparée de la France. Des paroisses appartenant au Dauphiné (Tulette, Saint-Marcelin près Vaison) formaient dans le Comtat de pareilles enclaves. Le Comtat possédait, en outre, des enclaves en Dauphiné. La plus importante est formée des paroisses de Valouse, Eyroles et les Pilles; une autre se relève près de Sainl-Paul-Trois-Châteaux, comprenant la paroisse de Solérieux. Des paroisses étaient mi-parties ou contestées entre le Dauphiné et le Comtat: Aubres, Rochegude près Bollène. Une étude plus minutieuse en révélerait d'autres.

Le comté de Sault. - Confinant au Comtat, une terre importante échappe, en 1789, aux actes de la convocation: c'est le comté de Sault, qui, en 1789, appartenait au duc de Villeroy, gouverneur général du Lyonnais. Au XIIIe siècle, le seigneur de Sault possédait la vallée de ce nom en toute souveraineté. Des lettres patentes de 1718 confirmèrent les franchises du comté: les localités principales étaient Aurel, Monieux, Saint-Trinit. Pour quelques autres (Saint-Christol en particulier), il peut y avoir contestation. Dans L'État de population relatif à la Provence (Arch. nat., D IV bis, 46), on remarque, à certaines localités, cette note: "Pour les cas royaux à la sénéchaussée de Forcalquier"; la sénéchaussée n'exerça pas, en 1789, son action sur les paroisses ainsi qualifiées. Le comté de Sault demeura entièrement en dehors de la convocation; peut-il, dans ces circonstances, être assimilé au Dauphiné ou à la Provence?

Montbéliard. - La terre indépendante la plus importante que l'on rencontrait en remontant les frontières de l'est est le comté de Montbéliard. La carte que nous en avons dressée, d'après les conventions antérieures à 1789 et surtout d'après les procès-verbaux des bailliages environnants, révèle que le comté était composé, à la veille de la Révolution, de deux parties distinctes: l'une groupée tout entière autour de Montbéliard, l'autre, moins importante, enclavée dans le bailliage de Vesoul et s'étendant de Couthenans à Magny-Danigon. Les droits du duc de Wurtemberg en France étaient de natures diverses: les uns se réduisaient à des droits seigneuriaux ordinaires sur un certain nombre de villages situés en Alsace, en Franche-Comté, en Bourgogne; les autres étaient de souveraineté absolue. La convention du 21 mai 1786 ne laisse, pour ces derniers, aucun doute. L'article x porte: "Le roi cède et abandonne au duc de Wurtemberg la souveraineté, supériorité territoriale, droits et ressorts sur les villages de [suivent les noms], ainsi que les deux maisons appelées les Raillères, près d'Estobon"; et l'article v: "Le roi renouvelle les lettres patentes par lesquelles Sa Majesté a cédé et remis au duc de Wurtemberg tous les droits de souveraineté sur les sujets et les terres de sa province d'Alsace qui étaient enclavés dans les villages et territoires de Nommay, Brognard et Dampierre, outre les bois dépendant du comté de Montbéliard." Ces deux articles sont importants à noter: ils ne laissent d'abord aucun doute sur les droits souverains du duc de Wurtemberg; les seules réserves à ce sujet (art. XXVI) portent que "les troupes de Sa Majesté et les convois militaires jouiront du passage libre"; ils nous montrent des limites frontières à établir, non sur des paroisses, mais sur des maisons, sur des bois imparfaitement décrits; ils apportent, enfin, une preuve aux confusions déjà signalées sur les confins exacts de l'Alsace.

Le comté de Montbéliard demeura, en 1789, hors de la convocation. Le duc de Wurtemberg reçut bien, en 1789, des assignations pour comparaître à diverses assemblées bailliagères d'Alsace et de Franche-Comté, mais ce fut à titre de possesseur de fiefs unis ou non au comté de Montbéliard. La convention de 1786 n'avait qu'imparfaitement réglé les limites des deux territoires; sa rédaction, souvent ambiguë, compliquée, prêtait à tant de difficultés qu'on ne peut s'étonner de son inexécution. Ces conventions, d'ailleurs, sont comparables aux édits ou autres actes de l'autorité soumis à l'enregistrement des parlements et qui, seul, les rendait exécutoires; on ne peut, pour l'histoire, séparer cet enregistrement des actes royaux; de même faudrait-il, pour ces conventions, rechercher dans quelle mesure elles furent exécutées. Le duc de Wurtemberg confirme lui-même ces appréciations, puisque, dans une lettre adressée au roi, le 5 mai 1790, nous voyons qu'il prétend des droits sur les villages de Valentigney et de Villers-la-Boissière, alors que l'article VIII de la convention de 1786 portait: "Le duc de Wurtemberg cède au roi la souveraineté des villages de... Valentigney et Villers-la-Boissière." Le point important, nous l'avons déjà vu, était d'avoir un prétexte pour soulever quelque difficulté; des instances naissaient; les tribunaux, parlements ou simples bailliages, ne pouvant, au milieu de tant de points obscurs, se reconnaître, déclaraient le territoire ou la paroisse en contestation, et les abus pouvaient ainsi se poursuivre en toute sécurité. Le simultané prescrit par cette convention de 1786 pour les églises était comme un emblème de l'ensemble du territoire. D'après le Dictionnaire d'Alsace de Bagnol, la paroisse de Montbouton était mi-partie Alsace (bailliage de Delle) et Montbéliard. .

Mandeure. - La petite république de Mandeure demeura, en 1789, hors de la convocation. On ne peut utiliser sans réserves l'histoire qui en a été racontée par un écrivain insuffisamment impartial; le fonds des papiers de Montbéliard, aux Archives nationales, est heureusement très riche sur Mandeure. La ville avait longtemps été la capitale d'une contrée qui devint ensuite le comté de Montbéliard. Sur son territoire, qui ne comptait que 1.525 hectares, la justice appartenait à l'archevêque de Besançon, aux seigneurs Montaignons, au prince de Montbéliard. Par l'article IX de la convention de 1786, le duc de Wurtemberg avait "cédé au roi la souveraineté sur les sujets et les terres qu'il possède à Mandeure"; mais cette cession prêtait, là encore, à de nombreuses contestations ou à des interprétations diverses, puisque la convocation ne se fit pas dans ce territoire. Mandeure, avec le village de Courcelles qui lui était uni, formait, en réalité, une principauté ecclésiastique dépendant de l'église de Besançon. "Ce petit village, écrit l'abbé Bouchey, traitant la période antérieure à 1790, a ses biens, ses lois, ses usages, sa constitution particulière... c'est une commune unique dans son genre... c'est un petit État qui se gouverne lui-même, sous la haute direction des archevêques, de leurs officiers et de ses curés." La mort de l'archevêque de Besançon, survenue à Soleure, le 19 mars 1792, causa dans la principauté les plus graves embarras. Les officiers de justice se trouvaient ipso facto destitués. Dans un discours du curé de Mandeure, annonçant à ses fidèles la mort "de leur très illustre et gracieux souverain", on lit: "La principauté de Mandeure est incontestablement un État étranger." Les événements qui, à Mandeure, suivirent cette mort, témoignent de l'ardeur des habitants à défendre leur indépendance.

Ils nommèrent eux-mêmes les officiers de justice et se déclarèrent en république en prenant pour devise: L'aigle ne prend pas les mouches. Ils craignaient, en effet, l'annexion à la France. Lorsque l'on reçut, à Mandeure, l'ordre de donner garnison à un régiment français, les habitants se prétendirent étrangers et considérèrent cet acte comme une "violation du territoire". La principauté de Mandeure suivit ensuite la fortune de celle de Montbéliard; mais elle en était, de fait, indépendante en 1789 et ses droits spéciaux méritaient d'être rappelés.

La principauté de Salm. - La principauté de Salm, à laquelle nous arrivons en remontant vers le nord, représentait un grand territoire qui demeura en dehors de la convocation. Dans un mémoire sur la principauté, daté du 25 août 1784 et demeuré inédit, on lit: "La justice s'administre par le bailliage, composé d'un grand bailli et de deux conseillers assesseurs. L'appel de leurs sentences se porte par-devant l'intendant, qui instruit la procédure et qui, ensuite, le fait juger par l'une des trois universités qui sont nommées Strasbourg, Nancy ou Reims. La grande police s'administre par l'intendant et l'autre par le bailli. Ces arrangements différaient essentiellement de tous ceux relatifs à la justice dans le reste du royaume. La convention passée le 21 décembre 1751 entre le prince de Salm-Salm, d'une part, et le roi de France et le roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, de l'autre, avait déterminé assez exactement les frontières. Senones devint, à la suite de ce traité la principale ville de la principauté; c'était antérieurement Badonviller. Nous n'avons pas relevé de paroisses mi-parties ou contestées en 1789 entre la principauté et les bailliages voisins. Les incertitudes portent donc sur la nature des droits féodaux du prince de Salm. Quels étaient exactement, dans ce territoire, les droits du roi de France? Le décret du 2 mars 1793 porte: "ART. I: La ci-devant principauté de Salm est réunie au territoire de la république." Ce texte comporte l'idée d'une terre étrangère réunie. La convention passée le 29 avril 1792 entre le roi et le prince de Salm-Salm ne mentionne pas, cependant, des droits souverains en faveur de ce dernier: "L'indemnité due à M. le prince de Salm-Salm, y lit-on, à raison des droits seigneuriaux et féodaux, ainsi que des dimes inféodées dont il jouissait dans la ci-devant province de Lorraine et dans la ci-devant principauté d'Arches et Charleville qui lui appartient pour un neuvième, lui sera payée d'après l'évaluation qui sera faite de leur produit au taux du denier 30." La principauté d'Arches et Charleville était, en 1789, dans le ressort du bailliage de Sainte-Menehould, où elle fut convoquée; elle obtint même le droit d'élire directement un député à l'Assemblée nationale; elle ne peut donc être assimilée à la principauté de Salm, dans laquelle le roi de France n'avait pas de juridiction pour les cas royaux.

Comté de Saarverden. - Le comté de Saarverden, désigné dans quelques cartes anciennes sous le nom de Terres de Nassau, parce qu'il appartenait en toute souveraineté, semble-t-il, aux princes de Nassau, était entièrement enclavé en France, entre l'Alsace, la Lorraine et les Évêchés. La délimitation présente des difficultés, et par suite des inexactitudes. "En 1619, écrit Expilly, le duc de Lorraine s'empara du comté de Saarverden et de ses dépendances; mais, au traité de Westphalie en 1648, les princes de Nassau obtinrent d'être compris dans le nombre de ceux qui seraient restitués dans leurs biens. En conséquence, ils furent remis en possession des comtés de Saarbruck et de Saarverden, ainsi que de leurs dépendances, sans préjudice des droits de leurs parties adverses et de la révision du procès qui devait être faite. Par le traité de Vincennes de 1661, il fut réglé que le procès, pour le comté de Saarverden, entre le comte de Nassau et le duc de Lorraine, serait porté à la Chambre impériale. Il y est encore pendant (1770) et les ducs de Lorraine sont restés en possession." La possession des ducs de Lorraine était de toute évidence fort précaire, car le droit de la France, substitué à leurs droits à la mort de Stanislas, n'a pu faire exercer l'action de ses officiers judiciaires en 1789 et tout le comté est resté en dehors de la convocation. Nous ne pourrions, d'ailleurs, sans de nombreuses et expresses réserves, fixer les limites de la France dans cette région, Saar-Union, alias Boucquenom, et la ville même de Saarverden, étaient demeurées hors des contestations et furent convoquées à Sarreguemines; elles y comparurent, formant ainsi une enclave française dans le comté. Une longue et minutieuse étude permettrait seule de déterminer exactement, en 1789, les territoires respectifs du roi de France et des Princes de Nassau.

Mulhouse. - Nous avons déjà parlé de Mulhouse, "république alliée aux Suisses". L'évêque de Lydda écrit, le 17 novembre 1790, à l'Assemblée nationale: "La ville de Mulhouse, état souverain de la Confédération helvétique enclavé au centre du Sundgau, territoire de France, demande que son commerce continue à être traité à l'instar de celui du royaume." Les limites du territoire de cette république sont, suivant les auteurs que l'on consulte, contradictoires. D'après la carte de Cassini, qui, exceptionnellement, indique des limites, elle n'eût compris, en plus de Mulhouse, que Illzach et Indenheim, hameau qui en dépendait. Bagnol, dans son Dictionnaire d'Alsace (p, 403), indique, en plus, au nombre de ses dépendances, la paroisse de Zillisheim, qui formait une enclave séparée au sud de Mulhouse.

Bidache. - A l'autre extrémité de la France se rencontre un petit territoire dans lequel les droits du roi de France étaient tout au moins en contestation: c'est la souveraineté de Bidache et le duché de Gramont. La "terre et comté de Gramont" avait été érigée en duché de pairie, en faveur du maréchal Antoine de Gramont, en novembre 1648. On le trouve qualifié "Antoine de Gramont, prince souverain de Bidache, duc de Gramont et pair de France, comte d'Aure, sire de Lesparre, comte de Guiche", etc. "La principauté de Bidache, lit-on dans Expilly, appartient au duc de Gramont, qui y prétend des droits de souveraineté et prend le titre de souverain de Bidache, ce qui lui est contesté par les magistrats conservateurs des droits du roi". La contestation, d'ailleurs, dure encore. Au congrès de Sociétés savantes de 1898, il fut donné lecture d'un mémoire contestant "les prétentions des Gramont à la souveraineté politique sur une terre quelconque de leur duché... C'est sur une assez récente équivoque que réside leur titre de prince souverain de Bidache, car ces seigneurs n'ont jamais exercé par leurs juges à Bidache que la souveraineté judiciaire ou justice en dernier ressort, sans appel aux parlements de Bordeaux ou de Pau". Ces conclusions furent aussitôt contestées par un descendant du maréchal de Gramont, mais la question se pose précisément de savoir si ce n'est pas la souveraineté judiciaire qui constitue la souveraineté même ou, pour autrement dire, si la réelle souveraineté peut être entendue séparément de la justice entière, totale. "Le premier et le principal droit des souverains, écrit Ferrières, le plus essentiel fleuron de leurs couronnes et le devoir auquel ils sont le plus étroitement engagés, est de rendre la justice à leurs sujets..., aussi l'on tient pour maxime certaine et indubitable que le roi seul est fondé de droit commun en toute justice, haute, moyenne et basse, dans toute l'étendue de son royaume. La justice appartient donc au roi seul en propriété; il la tient uniquement de Dieu a quo omnis potestas et per quem reges regnant." En 1789, la principauté de Bidache demeura hors de l'action de la convocation.

Il serait aisé de multiplier les exemples des parties de territoire sur lesquelles le roi de France n'avait pas des droits de souveraineté totale. Des villes, particulièrement, revendiquaient l'indépendance partielle. Lectoure prétendait être, comme ville, un pays d'État. Marseille soutenait de même qu'elle était un "État à part". Dans une délibération des artisans d'Arles du 15 février 1789, reçue par-devant notaire, on lit: "La ville d'Arles, étant restée jusques à présent un État uni à un autre, n'a pas cessé, comme le restant de la province, d'être un vrai principal, annexé à un autre principal." Valenciennes prétendait, de même, qu'elle avait toujours été un État particulier, tenant le rang d'une province.

On remarquera bien sans doute que les limites de la France présentent, aujourd'hui encore, sur quelques points, des indécisions, des incertitudes. L'abbaye de Hautecombe, territoire italien, la commune de Livia, territoire espagnol, rappellent les anciennes enclaves, mais pourraient être aussi comparées à l'exterritorialité des ambassades. Monaco, Andorre sont demeurés à moitié français. Les réserves, enfin, que l'on voit dans le traité de 1860, relativement à la Savoie, se rapprochent des arrangements d'autrefois pour Porentruy; il y a, cependant, entre les deux états de choses, la différence de l'exception à la règle constante. Aujourd'hui, un cartographe peut en toute sûreté indiquer sur une carte, même sommaire, les frontières de France, parce qu'il sait que son indication, même imparfaite, correspond à un fait exact, précis; autrefois, dans le même esprit, l'entreprise était impossible.

La nécessité d'avoir recours aux seuls documents et de négliger, pour les limites frontières et pour celles des divisions intérieures, les travaux des anciens cartographes, s'impose d'une manière certaine. Avec une hardiesse qui n'est égalée que par leur présomptueuse ignorance, les cartographes d'autrefois - Cassini seul, peut-être, excepté (encore faut-il faire bien des réserves) - ne manquaient jamais d'indiquer les limites précises des gouvernements, des provinces ou du royaume; ils savaient pertinemment que leur entreprise ne pouvait être défendue, mais ils tenaient, avant tout, à ce que leurs concurrents ne pussent taxer leur oeuvre d'imperfection ou d'inexactitude, et ils divisaient et délimitaient le royaume de France comme ils eussent délimité tous les royaumes du monde. Lorsque l'embarras était trop manifeste, ils se contentaient d'écrire sur la région indécise: Pays neutre. L'un d'eux précisément, et non des moindres, G. de l'Isle, publia, en 1700, une carte de l'Afrique admirablement divisée en royaumes dont les capitales et les frontières étaient figurées, sans qu'aucune tache blanche indiquât des incertitudes ou des réserves; on remarque bien, sur cette même carte, que le Sénégal, le Congo et le Niger sont confondus en un seul fleuve prenant sa source vers le Tanganyka, mais l'auteur avertit, dans une note jointe, que "cela n'est point arrivé par inadvertance" et qu'il s'engage à en "rendre raison". Il en allait ainsi pour toutes les autres.