INTRODUCTION HISTORIQUE par M. de La ROQUE (1800)

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INTRODUCTION HISTORIQUE

Origine et formation de la Noblesse
Anoblissement par lettres patentes et par les fonctions
Les noms. - Les titres. - Les armoiries. - Les devises.
Recherches de Noblesse. - Jugements de maintenue.
Noblesse militaire.
Le Languedoc et sa constitution politique.

I
ORIGINE ET FORMATION DE LA NOBLESSE.

Noblesse, dans la signification générale de ce mot, exprimait ce qui se fait connaître d'une façon éclatante: nobilis, notabilis, à noscibili, distingué, remarquable.
Dans une signification plus restreinte, ce mot servait à désigner un ordre de citoyens distingué de tous les autres.
Tous les hommes naissent égaux par le droit de nature; mais cette nature qui les destine à vivre en société, rompt elle-même l'égalité primitive.
"L'égalité, disait Voltaire, n'est pas l'anéantissement de toute subordination; nous sommes tous également hommes, mais non membres égaux de la société... Les hommes sont égaux dans l'essentiel, quoiqu'ils jouent sur la scène des rôles différents."
Si quelques peuples affectent une égalité entière et parfaite, on peut prouver aisément que c'est chez eux l'effet des lois ou d'usages bien postérieurs au premier arrangement des choses, et qu'en semblant y déroger ils en conservent encore malgré eux de fortes impressions. Les Etats-Unis nous en offriraient plus d'un exemple; il suffirait de rappeler l'antipathie et l'orgueil de leurs races, la dureté de leur esclavage, et le fanatisme intolérant des know-nothing.
"La véritable et intelligente égalité consiste, non pas à proscrire les distinctions, mais à en permettre l'accès à tous ceux qui s'élèvent par leur courage, par la dignité de la conduite ou par l'éclat des services."
Les distinctions sociales dont l'ensemble constitue la noblesse se retrouvent chez tous les peuples et dans tous les pays; elles apparaissent à l'origine de toutes les civilisations, comme le résultat ou la récompense de la valeur, comme le signe authentique d'une supériorité acquise et acceptée.
"La noblesse, disait Vauvenargues, est un héritage comme l'or et les diamants; ceux qui regrettent que la considération des grands emplois et des services passe au sang des hommes illustres, accordent davantage aux hommes riches, puisqu'ils ne contestent pas à leurs neveux la possession de leur fortune, bien ou mal acquise; mais le peuple en juge autrement: sage distribution qui, tandis que le prix de l'intérêt se consume et s'appauvrit, rend la récompense de la vertu éternelle et ineffaçable."
L'ambition de cette supériorité est naturelle au coeur de l'homme.
"Ceux qui sont nés avec la noblesse ne considèrent rien au monde de plus avantageux, et ils souffriraient plutôt la privation des biens de la vie que la perte de cet honneur. Ceux qui en sont déchus par quelque accident, tentent sans cesse les moyens d'être rétablis; et ceux à qui la naissance l'a déniée, n'ont point de soin plus pressant ni d'ambition plus forte que d'y parvenir."
Horace disait déjà aux turcarets de son temps:
Licet superbus ambules, fortuna non mutat genus.
Nous ne prétendons pas nier ou excuser les faits de violence ou d'usurpation qui se sont produits à toutes les époques, mais d'ordinaire, c'est parmi les chefs des armées conquérantes et de leurs lieutenants, parmi les possesseurs des terres fiscales ou allodiales, des fiefs et des bénéfices, parmi les élus de la nation et les titulaires des hautes magistratures des villes et des métropoles, parmi les leudes, fidèles, antrustions, convives ou amis du roi, aussi puissants quelquefois que le roi lui-même, qu'il faut rechercher l'origine de la noblesse française.
La diversité des systèmes prouve combien il est difficile d'éclaircir cette origine et de lui donner une cause unique.
Boulainvilliers a cru qu'au moment de la conquête les Francs et les Gaulois ne formant qu'un corps de société, les premiers furent tous gentilshommes et les derniers roturiers. Montesquieu veut que même au-delà du Rhin, les Francs aient eu comme une noblesse réelle, et que des familles, par l'avantage de leur naissance, possédassent des prérogatives particulières et distinctives. L'abbé Dubos et M. de Valois ont prétendu que les Francs, sous leurs rois, n'étaient point partagés en deux ordres de citoyens, et que toutes les prérogatives étaient personnelles. M. Ardillier croyait reconnaître dans le capitulaire de 813, arrêté à Aix-la-Chapelle, dans une assemblée générale de la nation, qui rendit la condition de 600 sols héréditaire en faveur des antrustions, le véritable fondement de la noblesse. L'abbé Mably, enfin, place cette origine dans le traité d'Andely en 587.
Chérin, en résumant ces opinions, réserve la sienne, et ne considère la noblesse qu'au moment où l'établissement des fiefs affermit l'hérédité des prérogatives.
L'hérédité dans la famille qui établit la noblesse du sang précéda l'hérédité des fiefs et des offices. Les historiens des premiers siècles de la monarchie reconnaissaient que les hautes magistratures et les premières dignités ecclésiastiques étaient confiées de préférence aux gens de naissance, de stirpe nobili.
Jusqu'au milieu du neuvième siècle les dignités, les distinctions de titres furent personnelles et dépendantes de la possession des fiefs et des offices accordés par le prince; elles ne passaient aux enfants, héritiers des titulaires, que dans des cas particuliers qui ne faisaient ni loi ni coutume. C'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles que le moine de Saint-Gall place dans la bouche de Charlemagne, s'adressant aux enfants de la haute noblesse de son empire:
"Vous autres nobles sortis des premières maisons du royaume, élevés dans la mollesse et vous admirant vous-mêmes, vous avez compté sur votre naissance et sur vos richesses; vous vous en êtes fait un titre pour mépriser mes ordres, et préférer à l'étude la débauche, le jeu, l'oisiveté et de vains exercices: par le Dieu du ciel, votre noblesse et vos charmes ne me sont rien, quoique d'autres les admirent; comptez que si vous ne changez de conduite vous n'aurez jamais à vous louer de Charles."
C'est dans l'assemblée de Kiersy-sur-Oise (877) que Charles le Chauve, empereur, partant pour Rome en laissant la régence à son fils aidé du conseil des évêques, des comtes, d'un certain nombre de vassaux pour les affaires ordinaires, et du suffrage de l'assemblée générale des fidèles pour les plus importantes, fit une loi de l'hérédité générale de toutes les fonctions et de tous les bénéfices en faveur des héritiers, même en bas âge. Il alla jusqu'à prescrire aux seigneurs, tant ecclésiastiques que séculiers, d'en user de même à l'égard de leurs propres vassaux.
Il semble que la Royauté, dont les domaines se réduisaient alors aux villes de Reims et de Laon n'ayant plus rien à distribuer à la Noblesse, lui donna l'hérédité.
Le pouvoir, s'échappant des mains débiles des successeurs de Charlemagne, tomba sur le sol et s'y brisa en des milliers de parcelles, semences fécondes de cette individualité vigoureuse et puissante qui sauva le pays des invasions teutoniques, fit son éducation militaire, et protégea la formation de nos associations communales, premiers berceaux de la liberté.
L'hérédité des fiefs et l'établissement général des arrière-fiefs éteignirent le gouvernement politique et formèrent la hiérarchie féodale; le droit de primogéniture, qui s'établit afin d'assurer le service militaire et les autres obligations féodales, donna la véritable forme à l'institution monarchique, déjà compromise par la loi germaine du partage.
"Point de terre sans seigneur, point de seigneur sans terre", deviennent les axiomes fondamentaux de la société nouvelle, et la noblesse résulta de la possession ou de l'investiture du fief.
Chacun des barons, comme l'observe Beaumanoir, fut souverain en sa baronie: leurs petites cours offrirent l'image de la cour des rois et des empereurs; ils réunissaient autour d'eux leurs officiers et leurs vassaux; ils avaient des sénéchaux, des chanceliers, des plaids, et plus tard des parlements pour rendre la justice; ils exercèrent le droit de paix et de guerre les uns à l'égard des autres et contre le roi lui-même; ils firent des conquêtes, des traités, et imposèrent sans difficultés des taxes à leurs sujets pour subvenir aux frais de la guerre. Tous les manoirs furent crénelés et fortifiés, chaque propriétaire fut à la fois vassal et seigneur, vassal à l'égal du suzerain, suzerain a l'égard de l'arrière-vassal ou vavasseur.
La châtelaine elle-même avait un rôle élevé. Défendre le château en l'absence du seigneur, commander aux hommes d'armes, présider aux jeux chevaleresques, accompagner dans les longues chasses d'automne, l'émerillon au poing; puis à la veillée entendre les récits de quelque trouvère, décider parfois les questions délicates proposées aux cours d'amour, encourager partout la loyauté, la bravoure; l'honneur chevaleresque; tel était le rôle de la châtelaine. Il élevait les âmes et fortifiait les coeurs.
Le vide fait dans les rangs de la noblesse par les luttes de la féodalité, les croisades, les voyages d'outre-mer, et les guerres nationales contre les Anglais, fut rempli soit par les acquéreurs de fiefs nobles, citoyens que le négoce et la culture des arts avaient enrichis, soit par les villageois (vilani, vilains), attachés aux domaines ruraux.
La guerre des Albigeois, la domination de Simon de Montfort, fut pour la noblesse de Languedoc une cause de ruine qu'il faut ajouter à celles que nous venons d'énumérer.
"L'hérésie des Albigeois, dit Vaissette, eut de tristes résultats pour le pays; il fut entièrement désolé par la sanglante guerre qu'elle fit naître, durant laquelle la plus grande partie de son ancienne noblesse ou périt; ou fut obligée de céder ses biens à des étrangers.
Les fiefs transmirent à la postérité des acquéreurs leurs franchises, leurs priviléges, en un mot leur noblesse. Or, comme un des devoirs du fief obligeait le possesseur à suivre à la guerre le seigneur dont le fief relevait, la réception dans l'ordre de la chevalerie agrégeait tacitement au corps de la noblesse le roturier qui s'adonnait uniquement à la profession des armes et qui s'y distinguait.
Cette agrégation par la possession des fiefs nobles, qui doit être considérée comme une seconde phase dans l'histoire de la noblesse, ne se fit pas sans résistance de la part des anciennes familles, et sans quelques précautions de la part de nos rois.
La noblesse s'acquérait, suivant les Établissements de Saint-Louis, par la possession d'un fief à la tierce-foi, c'est-à-dire qu'un roturier acquérant un fief noble, ses descendants étaient nobles à la troisième foi (hommage) du même fief, et le partageaient noblement à la troisième génération. La foi était pour le roturier et l'hommage pour les gentilshommes.
Cette nouvelle classe de noblesse fut difficilement acceptée dans les rangs de l'ancienne, qui lui refusait le droit de guerre privée, celui de présenter gage de bataille et de combattre à cheval avec pleines armes; elle l'excluait même des tournois.
"Qui que vous soyez, disaient les hérauts d'armes à l'ouverture des tournois, qui avez été récemment anobli, ou qui n'êtes pas en état de prouver votre noblesse d'extraction ou votre origine par titres de quatre degrés au moins d'ascendants, n'assistez pas à ces jeux."
"Quisquis recentioris notae nobilis, et non talis es ut à stirpe nobilitatem tuam et originem quatuor saltem generis autorum proximorum gentilitiis insignibus probare possis, his quoque ludis abesto."
C'est à ce système touchant l'ancienneté requise pour donner le complément et la perfection à la noblesse, que l'on peut rapporter les statuts anciens des ordres royaux de chevalerie, et de plusieurs colléges de noblesse.
A mesure que l'autorité royale se consolida, ces agrégations devinrent moins fréquentes. Les acquéreurs de fiefs nobles qui ne faisaient point partie de la noblesse ne changèrent pas de condition, et furent tenus de payer une finance, au seigneur immédiat, et, depuis Charles V, au roi de France: ainsi s'établit le droit de franc-fief perçu par le domaine royal jusqu'en 1789.
On ne peut disconvenir cependant que cette acquisition de fiefs n'ait été à l'origine de la noblesse d'un grand nombre de familles, et la source de beaucoup d'usurpations, malgré la sévérité des édits de Charles IX, d'Henri III, d'Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV.
"Nobles étaient jadis non-seulement les extraits de noble race en mariage, ou qui avaient été ennoblis par lettres du roi, ou pourvus d'offices nobles, mais aussi ceux qui tenaient des fiefs et faisaient profession d'armes."
La profession d'armes jointe à la possession du fief étaient les deux caractères distinctifs de la noblesse ancienne, et la politique de nos rois, qui ne voulait porter aucune atteinte "aux droits acquis" et "aux possessions légitimes," ne demandait pas d'autres justifications pour maintenir la noblesse des familles qu'une possession centenaire et incontestée, si rien ne montre roture antérieure.
Mais l'orgueil aristocratique, la vanité de la perpétuité du sang, n'acceptèrent pas ce niveau égalitaire qui déclarait "nobles et issus de noble race et lignée" tous les gentilshommes dont la filiation prouvée remontait au delà de 1560.
Les gentilshommes de nom et d'armes, ou d'ordre chevaleresque, voulurent avoir le pas sur la noblesse de race ou de parage, qui se croyait elle-même supérieure aux fils des anoblis par lettres patentes ou par les charges publiques.
L'idée de conquête et de descendant des vainqueurs est celle qui a toujours le plus flatté la noblesse de tous les pays, et de tous les âges.
Tous les gentilshommes espagnols sont "hidalgos," fils de Goths et "nobles comme le roi;" en Castille, quelques-uns même ne dédaignent pas de l'être "un peu davantage, un poco più;" les maisons distinguées du royaume d'Angleterre cherchent leur origine dans le sang des Normands et des Saxons, et justifient leur antiquité par l'étymologie de leurs noms qu'ils tirent de la langue de ces deux peuples; les Allemands se croient aborigènes, et tranchent ainsi la plupart des questions qui ont si longtemps divisé la noblesse française.
On appelait gentilhomme de nom et d'armes celui dont l'origine, toujours inconnue, remontait aux premiers siècles de la féodalité, et permettait de préjuger ainsi la participation de ses ancêtres aux grandes luttes, aux grands exploits, aux grandes expéditions militaires de la chevalerie.
Le gentilhomme qui ne pouvait par titre ou par notoriété suffisante percer les ténèbres des douzième, treizième et quatorzième siècles, était réputé gentilhomme de race ou de parage (par son père).
Les fils d'anoblis devenaient gentilshommes de race après la quatrième génération, et avaient alors accès dans les ordres de chevalerie et les chapitres nobles; ils pouvaient même prétendre aux honneurs de la cour, sous le bon plaisir du roi, si l'époque de l'anoblissement de leur famille remontait au delà de 1400.
Mais plus tard ces distinctions ne suffirent plus, et la noblesse eut ses casuistes qui créèrent les dénominations de gens de qualité, de condition, distingués, honorables. Les premiers étaient ceux que leur ancienneté, leurs alliances, leur valeur et leurs grandes possessions territoriales tenaient constamment plus près du trône; à eux les compagnies de cent et de cinquante hommes d'armes, les sénéchaussées des provinces à l'époque où cette charge était encore essentiellement militaire, les gouvernements des provinces qui leur ont succédé, les grands offices, les grands emplois à la cour; plus tard, l'entrée aux écuries du roi, surtout à la petite; les honneurs de la cour, etc.
Les gens de condition étaient ceux qui; semblables aux premiers en bien des points, avaient moins d'importance territoriale, et ne pouvaient accomplir des faits d'armes aussi marquants, ne disposant pas de tant de vassaux. Ils servaient dans les troupes régulières, et, moins détournés du service, arrivaient par leur assiduité, à: des grades élevés et avaient, par les soins extrêmes qu'ils apportaient dans leurs alliances, leurs entrées, comme les premiers, dans les chapitres nobles et à Malte.
Les gens distingués étaient encore nobles de race ou d'épée, mais plus campagnards; ils servaient avec autant de valeur, mais moins d'éclat, et relevaient d'autres seigneurs plus puissants qu'eux.
On appelait enfin gens honorables, ceux qui, possédant beaucoup de fortune ou de talent, étaient parvenus à la noblesse par les charges qui anoblissaient. Ils vivaient grandement et avec distinction, mais n'arrivaient qu'après les autres.

II
ANOBLISSEMENTS PAR LETTRES PATENTES ET PAR LES FONCTIONS.

Dire ce qu'est la noblesse, c'est annoncer suffisamment ce que peut être l'anoblissement.
La supériorité reconnue par l'opinion publique, le respect, la considération, la confiance que s'attirent certains hommes par l'éclat de leurs services, ou par leur dévouement au bien public, deviennent, par la consécration du prince, habituels et inhérents à leurs enfants, et passent à leur postérité.
De là naît une certaine émulation, une certaine ambition, qui nous portent à vouloir égaler et quelquefois surpasser nos ancêtres et justifier la distinction qu'on leur accorde en la méritant; et chez nos concitoyens, une disposition à compter sur nous pour les choses importantes, à nous écouter plus avidement, à nous suivre plus volontiers, à nous confier par préférence les places d'autorité.
Les anoblissements, cette magnifique prérogative de l'autorité royale lorsque la noblesse donnait accès aux premières charges et aux premières dignités de l'État, ont commencé avec Philippe III. La faveur, l'intrigue, la vénalité ont souvent eu leur part, il est vrai, dans la distribution de ces distinctions sociales, mais le plus grand nombre des anoblissements dont la preuve est venue jusqu'à nous, sont fondés sur des services réels, souvent éclatants, et ne sont que l'expression de la voix publique confirmée par le prince.
Cet attribut de la puissance souveraine, usurpé quelquefois, n'a été délégué que dans de très-rares occasions.
En 1519, René, bâtard de Savoie, chambellan, grand-maître de France, sénéchal et gouverneur pour le roi en Provence, ayant donné des lettres de noblesse à un particulier de la ville d'Aix, les commissaires pour la recherche des faux nobles n'eurent aucun égard à cet anoblissement. En 1260, un arrêt du parlement de Paris fit défense au comte de Flandres de donner des anoblissements; en 1269, un comte de Nevers fut condamné à l'amende envers le roi, pour avoir anobli deux de ses sujets, qui furent pareillement condamnés à 2,000 livres d'amende pour avoir accepté ces anoblissements.
La première délégation connue est celle de Jean de Marigny, évêque de Beauvais, lieutenant du roi en Languedoc, qui reçut de Philippe de Valois, en 1342, le pouvoir d'accorder des lettres de noblesse; il anoblit Hugues Castraing de Campagnet, sénéchal de Rodez, et toute sa postérité, par lettres données à Agen au mois de septembre 1344.
Le duc de Berry, frère de Charles VI et son lieutenant en Languedoc, reçut en 1380 le pouvoir d'accorder des lettres d'anoblissement, et de faire payer finances aux anoblis.
Le comte de Diois et Valentinois, lieutenant du roi en Languedoc, reçut de Philippe de Valois, en 1388, un pouvoir semblable.
Nous ne connaissons qu'un exemple de cette délégation accordée par le roi à un simple gentilhomme.
"Jean-François de la Roque, chevalier, seigneur de Roberval, a été le premier qui établit la religion chrétienne et le commerce dans le Canada, sous l'autorité du roi François Ier qui le fit seigneur de Norembec, son vice-roi, amiral et lieutenant-général en Canada, Hochelaga, Saquenay, Terre-Neuve, Bell'lsle, Carponts, le Bras d'or, la Grande Baye et Bacaille. Il partit de France avec cinq vaisseaux, chacun de 400 tonneaux de charge, pour la conquête de ces lieux. Il avait un pareil pouvoir que si le roi y eût été en personne, lui étant permis, pour l'augmentation de la foi chrétienne et le bien du commerce, d'attaquer et d'assiéger des villes et châteaux; d'en bâtir et d'en fortifier de nouveaux; d'y conduire et d'y mener des colonies françaises; de créer toutes sortes d'offices et d'officiers, soit pour la justice, soit pour la guerre; d'y établir la religion catholique et la police du royaume, de faire des lois, statuts et ordonnances pour l'entretien de la navigation, et de les faire observer; de donner des rémissions; de bailler des terres en fiefs, seigneuries, châtellenies, comtés, vicomtés, baronies, et autres dignités qu'il jugerait convenir au service de ceux à qui il les accorderait. Il était aussi défendu de trafiquer en Canada sans son sçu et consentement; il était commandé de lui donner secours en cas de besoin, et il avait encore pouvoir de choisir par testament tel substitut et successeur qu'il jugerait à propos. Sa Majesté confirmait tout ce qu'il contracterait, ordonnerait et établirait, tant par armes que par amitié, confédération ou autrement, soit par mer ou par terre. Et pour l'exécution de cette entreprise on lui délivra la somme de 43,000 livres. Sa commission, fut insérée en l'état ordinaire des guerres à la Chambre des comptes de Paris, en date du 13 janvier 1540."
Les anoblis de la société et compagnie du Canada, ou nouvelle France, ont été maintenus, nonobstant la révocation des autres anoblissements par lettres patentes et déclarations du roi, du mois de janvier 1634, 4 juillet 1641, 4 mai 1658, confirmées par un arrêt du conseil d'État du 13 janvier 1667.
Quand la noblesse sortit des cours judiciaires et s'éloigna des magistratures municipales, préférant le hasard et le danger des batailles aux calmes soucis de l'étude et de l'administration, elle fut remplacée par les légistes et les bourgeois lettrés auxquels le roi conféra la noblesse, en les investissant des charges qui n'étaient alors remplies que par les gentilshommes. Nous avons encore les anoblissements des chanceliers de la Forêt, de Dormans, de Corbie, et des premiers présidents Bucy, Bracque, Dauvet, etc.; de Jacques de Pacy, conseiller au parlement de Paris; de Gratien Dufaur, conseiller au parlement de Toulouse; de Nicolas Rome, maître des requêtes, etc.
L'usage des lettres de noblesse ajoutées aux charges se perpétua jusqu'à la fin du quatorzième siècle, et depuis cette époque la noblesse graduelle fut régulièrement attribuée à l'exercice de certaines charges municipales, judiciaires ou de finance.
Louis XI, en 1471, avait attaché la noblesse à un certain nombre d'offices et à la possession de tous les fiefs majeurs. Les secrétaires du roi notamment reçurent sous son règne, le caractère d'une noblesse de race, et jouirent des mêmes priviléges que les nobles qui avaient passé le quatrième degré.
Charles VIII étendit aux principaux officiers municipaux des grandes villes la noblesse attribuée par Louis XI aux secrétaires du roi.
Les capitouls de Toulouse, les maires et les échevins des villes de Paris, Poitiers, la Rochelle, Saint-Jean d'Angély, Angoulême, Saint-Maixent, Tours, Niort, Cognac, Abbeville, Bourges, Angers, Lyon, Péronne et Nantes, acquirent successivement cette prérogative, qui à différentes reprises leur fut ôtée, puis rendue, et enfin confirmée. C'est ce qu'on appelait noblesse municipale ou de cloche. La dignité de premier consul de la ville de Montpellier ne donnait pas la noblesse, mais, comme on le verra par la liste que nous donnerons dans nos Pièces justificatives depuis la fin du quatorzième siècle c'était toujours un gentilhomme qui en était revêtu.
Deux édits avaient réduit à un seul degré dans les cours souveraines les charges qui conféraient directement la noblesse.
Le premier est du roi Louis XIII, donné à Saint-Germain-en-Laye; en 1642, enregistré au parlement le 7 février suivant, par lequel "Sa Majesté accorde aux maîtres des requêtes de son hôtel les priviléges des secrétaires de sa maison, en conséquence des nouvelles charges qui avaient été créées."
L'autre est du roi Louis XIV, du mois de juillet 1644, enregistré le 8 août, qui octroie au parlement de Paris les priviléges des nobles de race, barons et gentilshommes du royaume; ils étaient réputés nobles, pourvu qu'ils eussent servi vingt années ou qu'ils décédassent revêtus de leurs offices, nonobstant qu'ils ne fussent issus de noble et ancienne race.
Le grand conseil obtint des lettres patentes au mois de décembre 1644, vérifiées par cette compagnie le 20 de ce mois, qui contiennent les mêmes priviléges, accordés la même année à la chambre des comptes et à la cour des aides.
La même grâce fut accordée aux compagnies des autres provinces sur le modèle de celle du parlement de Paris.
Mais, par édit donné à Saint-Germain en Laye au mois de juillet 1669, lu au parlement, le roi y séant le 13 août, à la chambre des comptes et à la cour des aides le même jour, portant règlement pour les offices de judicature du royaume, "Sa Majesté maintient tous les officiers de ses cours aux anciens priviléges attribués à leurs charges, sans toutefois qu'eux et leurs descendants puissent jouir des priviléges de noblesse accordés par édits et déclarations, pendant et depuis 1644, qu'il révoque "; et dans les vérifications qui suivirent ce nouvel édit, la noblesse ne fut maintenue par les intendans qu'à la troisième génération, suivant la formule romaine, Patre et avo consulibus.
Les premières dignités militaires, les premières charges de la maison du roi anoblissaient directement les titulaires et leur postérité; les mêmes priviléges furent accordés plus tard aux offices de chancelier de France, garde des sceaux, conseiller d'État, maître des requêtes, secrétaire d'État, président des cours souveraines, gouverneur et lieutenant de roi dans les provinces.
Les charges qui anoblissaient à la troisième génération étaient celles de conseiller en cour souveraine; auditeur et correcteur des comptes; greffier en chef en compagnie souveraine; trésorier de France; capitaine des armées; prévôt en chef; gouverneur des villes et places fortes, fonctions rendues héréditaires en Languedoc, par édit d'août 1696.
Un édit de Louis XIV du mois d'octobre 1704 rétablit le privilége de la noblesse au premier degré; après vingt ans de services, aux officiers de tous les parlements, chambres des comptes, cours des aides, conseils supérieurs et bureaux des finances du royaume, et aux commissaires ordinaires et provinciaux des guerres.
La plupart de ces dispositions furent encore restreintes et ramenées aux anciens règlements de la noblesse à la troisième génération, par un édit de 1715, resté en vigueur jusqu'à la fin du dix-huitième siècle.

III
LES NOMS. - LES TITRES. - LES ARMOIRIES. - LES DEVISES.

L'usage des noms remonte à l'origine des choses; mais leur transmission héréditaire dans les familles est toute moderne. Elle ne commence à s'établir en France qu'après l'hérédité des fiefs, passe d'abord à l'aîné des enfants qui succède à la seigneurie, et ne devient patronymique, c'est-à-dire commune à tous ceux qui descendaient d'une même tige, que vers le milieu du quatorzième siècle; jusqu'à cette époque les puînés prenaient le nom du fief qui leur était échu en partage.
"Chez les Français qui habitaient au nord de la Loire et sur lesquels l'influence romaine n'agissait pas aussi puissamment, on ne portait en général qu'un nom. A la fin du dixième siècle ou au commencement du onzième, les surnoms se multiplièrent peu à peu, mais cet usage, qui pour les rois remonte à Pépin-le-Bref, ne devint général pour les particuliers qu'au treizième siècle. Il ne s'est pas d'ailleurs introduit à la même époque dans les différentes provinces.
"En Languedoc Guillaume III prit pour la première fois, vers l'an 1030 le surnom de Montpellier, dont il était seigneur. Ce sont en général les nobles qui, dans les différentes provinces de France, ont les premiers adopté cet usage."
Le nom des nobles dans les premiers temps n'était point héréditaire, quoique le sang, le privilége et la propriété le fussent déjà." On voit dans la loi salique que les parents s'assemblaient la neuvième nuit pour donner un nom à l'enfant nouveau-né. Bernard le Danois fut père de Torse, père de Turchtil, père d'Anchtil, père de Robert d'Harcourt. Le nom héréditaire ne paraît ici qu'à la cinquième génération. "Jourdain de Dourgne et Isarn de Saissac son frère, fils de feu Sicard de Puilaurens, rendent hommage à Raimond VII comte de Toulouse, le 27 novembre 1237.
A cette difficulté de retrouver l'origine d'une famille, la coutume féodale en ajoutait une autre qui n'était pas moindre, pour établir une filiation vraie, et reconnaître les personnages qui appartenaient à une même maison.
Les nobles étaient anciennement en possession de changer de nom sans la permission du prince, parce qu'en ce temps cette mutation ne faisait pas présumer qu'ils changeaient d'état. Quelques-uns prenaient le nom de leur mère ou celui de leur femme. Les Guillaume, seigneurs de Montpellier, et les comtes de Toulouse, prenaient le nom de leur mère; ils se faisaient appeler, Raymond, fils de Douce; Raymond, fils de Faiditte; Guillaume, fils d'Adélaïs; Guillaume; fils de Béliarde, et ainsi des autres. Pierre de France, fils de Louis le Gros, prit le nom de sa femme en épousant Isabelle de Courtenay; Robert, son frère, en épousant la fille du comte de Dreux en prit aussi le nom; Matthieu de Rouvroy, épousa Marguerite de Saint-Simon et en prit 1e nom; Enguerrand de Guines prit le nom de Coucy du chef de sa mère; le seigneur de Tignières quitte son nom pour prendre ceux des vicomtes de Narbonne dont il descendait par les femmes; Antoine Coiffier, seigneur d'Effiat, depuis maréchal de France, prit le nom d'Antoine Ruzé son grand oncle, seigneur de Beaulieu, secrétaire d'état.
L'histoire est remplie de pareils exemples, sans aborder le chapitre des adoptions et des substitutions autrement fécond en changements.
La confusion venait encore de ce que les noms des seigneuries étant absolument réels, quand on venait à perdre la seigneurie on en perdait le nom, ou on le conservait, suivant que l'habitude de le porter était plus ou moins ancienne. Si 1'on acquérait une seigneurie plus importante ou plus considérée que celle que l'on avait auparavant, on quittait son nom pour prendre celui de la nouvelle acquisition que l'on avait faite.
La première tentative de réforme d'un abus si considérable, dans l'intérêt même de la filiation des familles, appartient à Henri II, qui voulut y remédier par son ordonnance d'Amboise du mois de mars 1555, par laquelle il "fait défense à toutes personnes de changer leurs noms et leurs armes, sans avoir obtenu des lettres de dispense et permission, à peine de mille livres d'amende, d'être punis comme faussaires et privés de tout ce qui est privilége de noblesse."
Quelques années plus tard les états de Blois, tenus en 1579, défendirent "à tous gentilshommes de signer dans les actes et contrats aucun autre nom que celui de leur famille à peine de nullité;" défense renouvelée par les états généraux assemblés à Paris en 1614, qui proposèrent dans leurs cahiers qu'il fût enjoint à tous gentilshommes: "de signer dans tous actes et contrats du nom de leur famille et non de leurs seigneuries, sous peine de faux et d'amende arbitraire."
Le désordre et l'abus ne disparurent pas entièrement, mais ils s'amoindrirent, par l'exemple des premières maisons de France qui ne dédaignèrent pas de se soumettre, d'obtenir l'autorisation ou prince pour changer le nom de leurs seigneuries.
Cependant, par application du droit féodal tel que l'avait fait le plus constant usage, il était permis d'ajouter à son nom de famille celui de la seigneurie dont le patrimoine s'était accru, mais en l'incorporant d'une manière indivisible, au nom de la famille; en renonçant, pour ainsi dire, dans la contexture du nom patronymique au titre seigneurial, comme l'ont fait les Clermont-Tonnerre, les La Tour-du-Pin, les Moreton de Chabrillan, les La Rivoire de la Tourrette, les Bourbon-Busset, etc.
"Les seigneurs, dit M. Dufaure, avaient autrefois l'usage de prendre pour nom patronymique le nom de leurs seigneuries. Lorsqu'une personne devenait propriétaire d'un fief, elle ajoutait le nom de ce fief à celui que son père lui avait laissé, et les deux noms ainsi réunis, ainsi incorporés n'en faisaient plus qu'un seul pour l'avenir. Attestée par la tradition la plus incontestable et par la parole des historiens, cette coutume a été tolérée d'abord, et ensuite approuvée par la jurisprudence, et de nos jours la cour de cassation a déclaré comme une règle certaine qu'il était permis sous l'ancienne législation de changer en nom patronymique son titre seigneurial, et que le nom patronymique nouveau, ainsi adopté par le possesseur du fief, devenait le nom patronymique de la famille, transmissible de génération en génération, se conservant même après que le fief en était sorti. La seule condition exigée pour qu'une semblable modification fût possible, c'était que l'auteur de la modification, au moment où il la consommait, fût propriétaire du fief dont il prenait le nom."
On devine aisément, au milieu de cette confusion; la difficulté grande pour les familles d'établir une filiation régulière et suivie au delà du treizième ou du quatorzième siècles.
Aussi les justifications de noblesse les plus rigoureuses, comme celles des preuves de cour ou de l'ordre de Saint-Lazare, ne remontaient pas au delà de huit degrés, c'est-à-dire à 1400 et 1350; et suivant d'Hozier "quiconque peut faire remonter sa noblesse jusqu'au commencement du quinzième siècle, peut passer à bon droit pour noble de très-ancienne extraction."
Les auteurs du Répertoire de jurisprudence, publié en 1784, citaient comme exemple de filiation la plus ancienne, jugée par les tribunaux, celle qui fut produite par la marquise de Sailli, née Créqui, soeur du comte de Créqui-Canaples, qui voulut exercer et obtint le retrait de la terre de Douriers, vendue par la duchesse de la Trémouille, née Créqui, et dont l'auteur commun était Baudoin de Créqui, leur treizième aïeul vivant au commencement du treizième siècle.
C'était une règle établie depuis l'ordonnance d'Amboise de 1555, renouvelée dans celle de 1692, que l'on ne pouvait changer de nom de famille sans en avoir obtenu l'autorisation du roi, et cette grâce ne se refusait pas quand elle était fondée sur des motifs légitimes. Ainsi on tenait pour principe: 1° que le roi seul pouvait permettre le changement ou l'addition de nom; 2° que cette permission n'était jamais accordée que sauf le droit des tiers, qu'ils pouvaient faire valoir en s'opposant à l'enregistrement dans les cours; 3° que le changement de nom et d'armes ne pouvait avoir lieu, même après un testament qui en imposerait la condition, lorsqu'il y avait opposition de la part des mâles portant le nom et les armes. Le droit des intéressés demeurait toujours réservé par cette formule insérée dans toutes les lettres patentes: Sauf notre droit en autre chose et l'autrui en tout.
Ces divers principes, quoiqu'il ne soit question dans les ordonnances que des noms appartenant aux familles nobles, s'appliquaient cependant également au nom des familles des particuliers. Ils continuent d'être en vigueur dans notre législation moderne.
Sous l'ancienne monarchie, les titres étaient de deux sortes: les uns personnels comme ceux des offices des charges de la couronne, ou des ordres de chevalerie; les autres affectés aux terres et seigneuries.
"Les nobles prirent des titres selon la qualité de leurs fiefs: ils furent ducs, barons, marquis, comtes, vicomtes, vidames, chevaliers, quand ils possédèrent des duchés, des marquisats, des comtés, des vicomtés, des baronies. Quelques titres appartenaient à des noms sans être inhérents à des fiefs, cas extrêmement rare."
"Comites dicti sunt nullum comitatum habentes, soloque nomine sine-re participantes."
La hiérarchie des titres n'a jamais été bien établie. On reconnaît cependant que la qualité de roi est plus ancienne que celle d'empereur.
"Les empereurs, dont le nom vient de commander aux armées, ont commencé aux Césars par adoption. Ils ont été élus depuis par les gens d'armes, par les villes et par tout un pays qui se mettait sous leur obéissance."
Les ducs commandaient les armées; ils eurent plus tard le souverain gouvernement des provinces. Ce titre était d'abord personnel, il ne passait aux héritiers qu'en vertu de lettres patentes: on les distinguait en "ducs à brevet, et ducs héréditaires." Ils tenaient le premier rang après la dignité royale ou impériale, et faisaient partie le plus souvent de la pairie ou du sénat.
La prééminence a toujours été difficile à régler entre les princes, les marquis et les comtes. Beaucoup de principautés, même souveraines, étaient moins importantes que tels comtés, et en dépendaient quelquefois. La principauté n'impliquait pas toujours la suzeraineté. Les possesseurs n'avaient que le rang de la qualité réelle de leur fief. Mais depuis que principautés et comtés ont disparu, les princes ont décidément pris le pas sur les comtes.
Les marquis, chargés anciennement de la protection et de la défense des pays-frontières, venaient après les princes.
Les comtes suivaient les rois pour leur donner conseil, commander aux troupes et rendre la justice; et les vicomtes suivaient les comtes pour les assister ou les remplacer. "Il ne faut pas croire cependant que les comtes jugeassent seuls comme les bachas le font en Turquie; ils devaient prendre au moins douze hommes avec eux, tant adjoints que notables."
Le titre de baron, que la plupart des étymologistes font dériver du latin vir, homme illustre, ou du germain bar et ber, homme par excellence, était dans l'origine un des plus illustres, et paraissait renfermer tous les autres. Il servait à désigner les grands vassaux qui relevaient immédiatement du roi, et formaient sa cour judiciaire.
"Tout le corps de la noblesse, même les pairs, était compris sous ce nom au temps de Philippe-Auguste. Le pouvoir des barons était tel que Mézeray, en parlant du départ du roi pour la croisade 1190, dit qu'avant de partir, Philippe donna la tutelle de son fils et la garde du royaume avec l'agrément des barons, accepta licentiâ ab omnibus baronibus."
Peu à peu ce titre perdit de son importance. Le mot générique indiqua longtemps, et particulièrement en Languedoc, un fief considérable mouvant du roi; mais, à partir du quinzième siècle, les barons n'occupèrent que le quatrième rang dans la hiérarchie féodale.
Il n'apparaît pas que les marquis, les comtes et les vicomtes eussent entre eux d'autres relations que celles de fonctions ou d'offices. Ces titres n'entraient pas dans la même famille comme conséquence l'un de l'autre, et n'étaient pas toujours en troisième ou quatrième ordre.
Quelques-uns avaient dès le dixième siècle le rang des grands feudataires de la couronne, et, sans sortir du Languedoc, nous trouvons à cette époque les vicomtes de Polignac, d'Uzès, de Narbonne, de Béziers, de Nîmes et d'Alby qui jouissaient de droits presque régaliens.
"A partir du milieu du seizième siècle il y eut des érections par lettres patentes de duchés, marquisats, comtés, vicomtés, baronies, en faveur d'illustres ou seulement riches familles.
"On voit par les édits de Charles IX et de Henri III qu'il fallait alors, pour l'érection d'un duché, avoir un fief de huit mille écus de rente; pour celle d'un marquisat, trois baronies avec leurs châtellenies unies et tenues du roi par lui seul hommage; pour celle d'un comté, trois baronies et trois châtellenies." Il suffisait de trois châtellenies, ou clochers comme on disait alors, pour autoriser l'érection d'une baronie.
Mais cette règle ne fut pas toujours observée, et l'on obtenait pour beaucoup moins, avant 1789, des érections régulières de duchés et de marquisats.
L'arrêt du conseil du roi, du 13 août 1663, avait fait défense à tous propriétaires de se qualifier barons, comtes, marquis, et d'en prendre les couronnes à leurs armes, sinon en vertu de lettres bien et dûment vérifiées; à tous les gentilshommes de prendre la qualité de messire et de chevalier, sinon en vertu de bons et valables titres; et à ceux qui n'étaient point gentilshommes, de prendre qualité d'écuyers, à peine de 1500 livres d'amende.
Cet arrêt fut confirmé par une déclaration du 8 décembre 1698, qui ajoutait une amende de 100 florins, pour les roturiers qui auraient pris la qualité de marquis, comte, baron et autres titres honorables des terres titrées qu'ils possédaient.
Quand la plupart des anciens comtés ont eu fait retour à la couronne, le titre de comte n'a plus été qu'un titre d'honneur, et les érections nouvelles en ont été fort rares. Les autres fiefs de dignité, marquisats, vicomtés et baronies s'obtenaient plus fréquemment, par lettres patentes ou par acquisition. Comme le titre de vicomte tenait le milieu dans cette hiérarchie, entre celui de marquis et de baron, l'usage s'établit dans les familles titrées "comtes ou marquis" de partager aux enfants, ou entre les différentes branches les titres soi-disant inférieurs de "vicomte et de baron."
Aucun de ces titres cependant n'impliquait le dédoublement: on était "comte, marquis, vicomte ou baron" en vertu de lettres régulièrement obtenues et enregistrées, ou tout au moins par l'acquisition d'un fief érigé autrefois en pareille dignité. L'usage, ou si l'on aime mieux, la courtoisie, reçut une espèce de consécration tacite depuis l'ordonnance du 25 août 1817 qui autorisait le fils aîné d'un duc et pair à porter le titre de marquis, et les frères puînés le titre immédiatement inférieur à celui de leur frère aîné.
Nous disons consécration tacite, parce qu'il fallait encore, pour s'attribuer régulièrement de pareils titres, être le fils d'un sénateur, ou le fils d'un pair de France possesseur de majorat.
La courtoisie voulait encore, avant 1789, que l'on ne fût admis aux honneurs de la cour ou présenté au roi qu'avec un titre; que l'on ne demandât la signature d'un souverain au bas d'un brevet ou d'une commission, pour un grade supérieur ou une fonction importante, qu'en faveur d'un gentilhomme titré. Le titre ainsi courtoisement donné restait dans la famille, parce qu'il était de maxime courtoise "qu'un roi ne peut pas se tromper."
L'acquisition ou l'héritage d'une terre titrée donnait aussi dans les usages du monde l'investiture du titre, et autorisait la dévolution d'une branche à l'autre à l'extinction des mâles.
Il était conforme au génie de la nation et à ses usages, dit l'auteur des lettres sur l'Origine de la noblesse, que les enfants participassent aux titres dont leurs pères étaient honorés. Nous le voyons à toutes les époques de notre monarchie. Dunod de Charnage remarque que les aînés et les puînés prenaient les titres dont leurs maisons étaient honorées et les transmettaient à leurs branches, ce que La Thaumassière atteste encore d'une façon plus positive en disant que c'est une chose assez connue.
On peut juger jusqu'où l'on avait porté l'abus d'usurper les titres, par la lettre qu'écrivit M. de Clérambault à M. le Tourneur, premier commis de la guerre, le 8 juin 1748:
"La question que vous me proposez par votre lettre du 6 de ce mois, sur les lettres de marquis pour M. de Brehan, me paraît un scrupule nouveau; car ce titre ainsi que celui de comte et de baron sont devenus aussi prodigués et aussi communs pour les militaires, que celui d'abbé pour les ecclésiastiques sans abbayes: il est vrai que les titres n'étant pas soutenus de leurs vrais fondements, qui sont des lettres patentes d'érection, registrées, soit pour le sujet, soit pour ses ancêtres, ne sont utiles que pour les adresses des lettres, et les conversations avec des inférieurs; ainsi je crois, Monsieur, que vous pouvez faire là-dessus tout ce que bon vous semblera. L'abus en est si grand depuis longtemps, qu'il serait à présent bien difficile de le réformer. Quoique, dans les règles, je ne dusse passer, pour les preuves de MM. les chevaliers des ordres, aucun de ces titres de comte, marquis, baron, etc., qui ne sont pas revêtus de lettres patentes registrées, je me trouve souvent obligé de suivre le torrent, parce que de les refuser à un lieutenant général, quand il est ainsi qualifié dans ses provisions, ce serait sembler vouloir le dégrader et en faire une affaire personnelle; cependant, cela est, je vous l'avoue, contre toutes les règles, de même que les couronnes qu'ils mettent à leurs armes, en conséquence de ces titres imaginaires. Votre question me rappelle un bon propos sur ce sujet: Un marquis de l'espèce dont il s'agit, mécontent des plaisanteries de quelqu'un, s'échauffa jusqu'au point de le menacer de l'aller chercher dans quelque endroit qu'il pût se cacher. Le plaisant l'en défia en lui disant qu'il connaissait un endroit où certainement il ne pourrait pas le trouver. Et quel peut être cet endroit ? dit le marquis. - C'est dans votre marquisat, répondit le plaisant."- En voilà assez sur cette matière, etc."
Tous les nobles, quelle que fût l'origine de leur noblesse, se qualifiaient gentilshommes, écuyers, ou chevaliers.
Le titre de chevalier fut d'abord essentiellement militaire et servait à désigner une dignité personnelle à laquelle on ne parvenait qu'après de longues épreuves. L'affiliation appartenait au roi; elle passa ensuite aux grands seigneurs, puis aux simples chevaliers qui se créaient les uns par les autres, mais toujours sous le bon plaisir du roi.
Plus tard ce ne fut qu'un titre d'honneur comme celui de messire, qui s'accordait aux gentilshommes de race, ou à ceux qui possédaient 1es premières dignités dans l'épée ou dans la robe.
"Chevalerie était plutôt marque d'honneur que noblesse, dit Chorier;" et la qualité de chevalier ne pouvait se prendre sans usurpation si le prince ne la donnait, surtout depuis la création des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit.
Les gentilshommes aspirant à la chevalerie, composaient l'escorte des chevaliers, les suivaient à la guerre, portaient leurs armes dans les tournois et prenaient les titres de page, damoiseau, varlet, écuyer, qui formaient pour ainsi dire les divers degrés d'initiation.
Dans la suite le mot écuyer fut pris comme titre de noblesse. On le trouve dans ce sens dans l'ordonnance de Blois de 1579, dans les édits du mois d'août 1583 et du mois de mars 1600. Louis XIII et ses successeurs imposèrent de fortes amendes aux roturiers qui usurpaient ce titre. Il était encore donné aux anoblis sous la restauration.
Cependant vers la fin du dix-huitième siècle, la qualité d'écuyer était devenue commune non seulement à la postérité des anoblis, mais encore aux titulaires de petites charges, et cet usage avait mis les anciens gentilshommes dans le cas de se croire obligés, ou du moins autorisés à prendre le titre de chevalier, quoiqu'il fût bien constant que l'on ne pouvait tenir cet honneur que de la grâce particulière du souverain.
Le titre de noble équivalait à celui d'écuyer dans les pays de droit écrit, mais il n'attribuait pas les priviléges de noblesse quand il était joint au titre d'une profession, comme "noble avocat," "noble médecin."
Toutes les qualifications de noblesse, même les plus éminentes, se résumaient dans l'expression générique de gentilhomme, gentis homo, citoyen originaire de l'État, né libre et de parents dont la généalogie ne trahissait aucune marque de servitude ou d'assujettissement aux corvées et aux tributs personnels.
Ce titre ne convenait d'abord qu'aux nobles d'extraction, ou de toute ancienneté. Il était indépendant de la faveur des rois ou des dignités arbitraires et accidentelles. François Ier et Henri IV n'en reconnaissaient pas de plus élevé. Quand il fut pris par les descendants des anoblis, on créa l'expression de gentilshommes de nom et d'armes, pour désigner ceux qui l'avaient été de tout temps, ainsi qu'on le voit dans les statuts de l'ordre de la Toison d'Or, de Saint-Michel et du Saint-Esprit, etc. Dans le langage habituel du monde aristocratique, c'était cependant une maxime consacrée que "le roi pouvait faire des nobles, mais non pas des gentilshommes," sans doute en mémoire de l'aphorisme de Linnaeus: Nobilitatem consequitur, sed non genus.
Sous l'empire il y eut concession de titres de duc, prince, comte, baron et chevalier, mais avec l'obligation préalable de constituer un majorat, pour rendre le titre héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture.
La restauration, tout en autorisant la noblesse ancienne à reprendre ses titres, et la noblesse nouvelle à garder les siens, conserva la loi des majorats de l'empire, et ne permit la transmission des titres concédés pour la pairie, qu'après la constitution d'un majorat dont les revenus ont été fixés par les ordonnances royales des 25 août 1817 et 10 février 1824. Elle rétablit les titres de marquis et de vicomte supprimés sous l'empire.
La loi du 12 mars 1835 a aboli les majorats et en a prohibé l'institution pour l'avenir.
On se demande quel va être, en présence de cette loi, le sort des titres impériaux ou royaux qui ne devaient devenir héréditaires qu'à la condition de la formation et de la conservation d'un majorat.
Comme nous n'avions aucune raison pour préjuger les intentions ou la jurisprudence du conseil du sceau, nous avons suivi l'usage, tout en ayant soin d'indiquer l'origine du titre pris et transmis dans une famille.
Les ornements et les symboles que l'on rencontre sur les sceaux les plus anciens se multiplièrent à l'infini, lorsque les seigneurs, réunis par les tournois et les croisades, sentirent le besoin d'adopter des marques distinctives pour se faire reconnaître dans les jeux et dans les combats; telle est selon l'opinion la plus généralement adoptée l'origine des règles du blason et de l'hérédité des armoiries.
"Quelle que fût, en effet, la variété de ces emblèmes, il était impossible que le même ornement ne parut pas sur plusieurs bannières à la fois; il fallut donc modifier la position, la couleur ou les détails accessoires d'une même figure, pour qu'on pût distinguer entre eux les différents seigneurs qui l'avaient adoptée. La vanité, autant que le respect, engagea quelques familles à conserver un symbole illustré par les exploits de leurs chefs; bientôt les armoiries devinrent comme les fiefs, une propriété héréditaire qu'il fallut défendre et conserver pour la transmettre à ses descendants. Ce droit une fois consacré, les mariages, les acquisitions, les ventes et les échanges durent introduire dans les armoiries des modifications qui n'avaient rien d'arbitraire. De l'observation de tous ces faits naquit le blason qui eut comme toutes les sciences ses règles et sa nomenclature."
Il ne faut donc pas rechercher l'origine des armoiries au delà du onzième siècle. C'est par les croisades, dit M. de Foncemagne, que sont entrées dans le blason plusieurs de ses principales pièces, entre autres la croix de tant de formes différentes, et les merlettes, sorte d'oiseaux qui passent les mers tous les ans et qui sont représentées sans pied et sans bec, en mémoire des blessures qu'avait reçues dans les guerres saintes le chevalier qui les portait. C'est aux croisades que le blason doit les noms de ses émaux azur, gueule, sinople, sable, s'il est vrai que les deux premiers soient tirés de l'arabe on du persan, que le troisième soit emprunté de celui d'une ville de la Cappadoce, et le quatrième une altération de sabellina pellis, martre, zibeline, animal connu dans les pays que les croisés traversèrent. C'est probablement par les croisades que les fourrures d'hermine et de vair, qui servirent d'abord à doubler les habits, puis à garnir les écus ont passé dans le blason. Le nom même de blason dérivé de l'allemand blasen, sonner du cor, nous est peut-être venu par le commerce que les Français eurent avec les Allemands pendant les voyages d'outre-mer.
L'époque fixe de la transmission des armoiries n'est pas plus certaine que celle de noms de famille. Selon les bénédictins ce fut sous le règne de Saint-Louis, vers le milieu du treizième siècle, que l'usage des armoiries se conserva dans les familles sans que cet usage fût invariable. "Isarn de Lautrec se servait pour armes en 1268, d'une croix vidée et pommetée comme celle de Toulouse; Pierre, son frère, avait une croix de Toulouse et un chef chargé d'un lion passant, et au cimier une tête d'aigle."
Les nombreuses armoiries des rois de France prouvent que l'on ne se faisait pas faute de varier le nombre et la disposition des pièces de l'écu.
L'origine des armoiries des familles est aussi inconnue que celle de leur noblesse. Quand l'usage s'en établit, chaque maison prit les ornements extérieurs et les couleurs qui lui convenaient le mieux. On retrouve la concession de quelque pièce attribuée par la volonté du roi, comme marque d'honneur ou en souvenir d'un exploit glorieux, mais l'attribution d'armes faite par le souverain est aussi secrètement gardée, dans les archives particulières, que les lettres d'anoblissement et de légitimation. La description des armes accompagnait ordinairement les lettres patentes de noblesse et devait être enregistrée, avant le seizième siècle, en la cour des comptes de Paris. L'incendie de ce précieux dépôt historique a dû mettre bien des vanités à l'aise.
Ni les émaux, ni les couleurs, ni le nombre et la forme des pièces de l'écu ne peuvent faire préjuger l'ancienneté ou l'illustration d'une famille, à moins de concession particulière qui en détermine la date et la nature. La maxime héraldique de quelques auteurs qui donnent un privilége d'ancienneté aux armes pures et pleines, simples ou parlantes, a reçu de trop nombreuses exceptions pour être adoptée; quel écusson est plus chargé que celui de Lorraine et celui de Montmorency ?
Quelques familles ont écartelé leurs armes pour garder et perpétuer le souvenir d'une alliance, d'une substitution ou d'une prétention. L'usage vient, dit-on, de René, roi de Sicile, qui, pour se dédommager de n'être possesseur réel d'aucun des royaumes où il prétendait avoir droit, et pour annoncer ces prétentions et ces droits, écartela de Naples-Sicile, d'Aragon et de Jérusalem, vers le milieu du quinzième siècle.
Ce n'est guère qu'au quatorzième siècle qu'on voit paraître sur les sceaux les ornements accessoires de l'écu, tels que timbres et supports. On nomme supports les figures d'hommes, d'animaux, etc., qui soutiennent l'écusson à droite et à gauche; les ornements qui les couvrent sont appelés timbres, et l'on désigne sous le nom de cimier les pièces qui surmontent les casques ou les couronnes. Tous ces ornements étaient arbitraires, malgré la sévérité des ordonnances, et ne peuvent servir par conséquent à établir ou à préjuger le rang ou la dignité des familles qui les ont adoptés. Les nobles avaient seuls le droit de timbrer leurs armes; ils en ont toujours usé selon leur fantaisie.
Les emblèmes et les devises des ordres de chevalerie commencent à être à la mode vers la fin du quinzième siècle, les devises des familles et les cris de guerre remontent au treizième siècle.
"Le nom propre de la famille, ou seul ou avec quelque addition, un exploit glorieux, une aventure singulière, le titre d'un état, d'une église célèbre, d'une ville ou d'une forteresse principale faisaient communément, suivant les bénédictins, le sujet de ces cris d'armes. Celui des rois de France était Montjoye Saint-Denis; celui de Bourbon, Bourbon Notre-Dame ou Espérance; celui des ducs de Lorraine, Priny; c'était le nom d'une forteresse qu'ils avaient sur les frontières du pays Messin; celui des rois d'Angleterre, Dieu et mon droit, qui fut pris en 1340 par Édouard III." Parmi les plus connus on cite ceux de Tournon: Au plus dru; des sires de Chaulieu: Jérusalem; des comtes de Sancerre: Passavant; de Chateauvillain: Chastelvilain à l'arbre d'or; de Vogué: Fortitudine et vigilantia; de Desmontiers: Dieu nous secoure.
Les cris de guerre, qui devaient servir de cri de ralliement dans les batailles, n'appartenaient qu'aux familles d'origine chevaleresque; les devises étaient arbitraires et ne faisaient pas essentiellement partie de l'art héraldique; elles exprimaient un droit, une qualité ou une prétention de la personne qui les prenait; dans les familles nobles elles étaient quelquefois une double allusion à la personne et à ses armoiries, à son rôle politique ou à son passé domestique.
C'est surtout vers le temps de l'expédition de Charles VIII à Naples, que l'usage des devises rapporté d'Italie se répandit en France. Paul Joye réduisit en art ce qui n'avait eu jusques-là d'autre règle que la fantaisie. La principale noblesse de Provence adopta pour devises les sobriquets inventés par le roi René; ainsi: Hospitalité de d'Agoult; Grands de Porcelet, etc.
Cet usage était également répandu en Dauphiné, et faisait présumer l'ancienneté et la popularité des familles, en voici quelques exemples:

Parenté d'Alleman;
Prouesse de Terrail;
Charité d'Arces;
Sagesse de Guiffrey;
Loyauté de Salvaing;
Amitié de Beaumont;
Bonté de Granges;
Force de Commiers;
Mine de Theys;
Visage d'Altvillars.

Louis XII parait être le premier de nos rois qui en ait pris une; c'était un porc épic avec ces mots: Cominus et eminus, De près et de loin.
Une idée fausse, pourvu qu'elle ait été reçue, pouvait servir d'emblème ou de devise; ainsi de la salamandre de François Ier, vivant dans le feu, avec ces mots: Nutrisco et extinguo: Je m'en nourris et je l'éteins.
Le P. Bouhours dit que François Ier voulut par cette devise montrer son courage, ou plutôt son amour. Nutrisco, dit-il, montre qu'il se faisait un plaisir de sa passion, mais extinguo peut signifier qu'il en était le maître, et qu'il pouvait l'éteindre quand il voulait.
Les deux femmes de François Ier eurent aussi chacune leur devise: celle de la simple et vertueuse Claude était une pleine lune avec ces mots: Candida candidis, qui signifient, dit Mézeray, qu'elle était candide et bienfaisante aux âmes candides. Celle d'Eléonor, plus ambitieuse, était un phénix avec ces mots: Unica semper avis: Oiseau toujours unique.
Celle des Vogué, qui ont dans leurs armes un coq d'or sur un champ d'azur, avec ces mots: Sola vel voce leones terreo, était fondée sur ce préjugé que les coqs imprimaient la terreur aux lions, par le feu de leurs yeux, la fierté de leur démarche et la liberté de leurs mouvements.
Tout le monde connaît les fières devises des Rohan et des Coucy: Ne suis ny roy, ny prince aussy, je suis le sire de Coucy; Roy ne puis, prince ne daigne, Rohan suis.
L'explication d'une ou de plusieurs des pièces allégoriques qui meublaient l'écu servait quelquefois de devise, comme celle des Montcalm, Mon innocence est ma forteresse, qui portaient écartelé d'une tour d'argent et de trois colombes; ou comme celle des Moreton de Chabrillan, Antes quebrar que doblar, Plutôt rompre que ployer, qui faisaient soutenir la tour de leur blason par une patte d'ours. Le lion de Pierre de Bernis était Armé pour le roi; celui de la Fayolle de Mars, toujours armé pour quelque bonne cause, ne cachait pas son but: Tendit ad gloriam; ambition récompensée, d'ailleurs, par les deux palmes d'or posées en sautoir sur un chef d'azur.
La maison d'Hérail, qui portait dans son écusson un vaisseau d'or flottant sur des ondes d'argent, avait pris pour devise: Neque Carybs neque Scylla; les Sibert de Cornillon: Semper floreo, numquam flaccesco; c'était une allusion à la rose d'argent tigée et feuillée de même, posée en coeur, sur un champ d'azur entre deux bandes d'or. Celles des Hilaire de Jovyac: Fayt bien et laisse dire, ou des Bouillé: Tout par labeur, étaient simples et n'auraient pas tenté nos modernes bourgeois-gentilshommes.
Les rois en attribuaient quelquefois en accordant des lettres de noblesse pour rappeler les circonstances ou les motifs glorieux d'une pareille distinction; la famille Durand, de Montpellier, anoblie par Louis XVI en 1789, pour avoir préservé son pays de la famine pendant l'hiver de 1774, reçut pour devise: Fert patriae facilem annonam.
On cite comme une belle devise héraldique celle du croissant ottoman avec ces mots: Donec totum impleat orbem; et une plus belle encore, celle de l'ordre de Malte qui lui répond, la croix entre les cornes du croissant, avec ces mots: Ne totum impleat orbem. L'ordre de Malte a disparu, mais la croix tient parole, et l'église catholique est encore le plus ferme rempart contre le despotisme et la barbarie.
L'usage des sceaux ou des armoiries, comme celui des devises, n'était pas particulier à la noblesse. "Aux quatorzième et quinzième siècles les simples bourgeois jouissaient du même privilége, parce que peu de personnes sachant écrire, l'authenticité des actes dépendait de l'apposition du sceau; de là vient que les simples trompettes de la garnison de la cité de Carcassonne donnaient des quittances de leurs gages sous leur sceau, comme on le voit par les originaux de l'an 1344 qui nous restent encore."
Il y a eu même des époques où on attribuait des armoiries, moyennant finance, à qui en voulait, et même à qui n'en voulait pas, surtout en 1696. A la fin du dix-septième siècle les intendants en délivraient pour vingt livres, et avaient soin d'en envoyer non-seulement au mari, mais encore à la femme afin d'avoir quarante livres, pour laquelle somme ils faisaient assigner en cas de non-payement. "Les familles nobles, dit un auteur de la fin du dernier siècle, étaient plus connues autrefois par ces marques extérieures que par un nom certain. Aujourd'hui on tolère que chacun s'en fasse de telles que bon lui semble sans aucune peine que la raillerie publique."
Est-ce à dire qu'il n'y eut dans les noms, les titres et les armoiries de la noblesse française que doute et confusion, que désordre et arbitraire ? Le résultat des vérifications ordonnées par nos rois protesterait contre cette interprétation.
La possession d'un fief noble, l'usurpation d'un titre, l'attribution d'armoiries, l'adoption d'une devise, ne constituaient pas la noblesse: elle se prouvait, comme nous allons le voir, par un ensemble d'actes, de faits extérieurs, de services publics et effectifs, soumis au contrôle des magistrats préposés aux recherches et visés dans les jugements de maintenue.
Nous n'avons eu d'autre pensée que de mettre en lumière, dans l'exposition qui précède, les difficultés innombrables qu'offrait à l'investigation impartiale des commissaires du roi l'esprit d'usurpation que les d'Hozier, les Clérambault, les Chérin, les Belleguise, les Maynier, etc., n'ont cessé de condamner et quelquefois de dévoiler.

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