TITRES ET QUALIFICATIONS par M. Borel d'HAUTERIVE

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TITRES ET QUALIFICATIONS DE LA NOBLESSE EN FRANCE

DUC

Autrefois on ne pouvait porter que le titre qui était attaché à la terre dont on possédait la seigneurie. Comme les fiefs titrés furent longtemps en petit nombre, la plupart des gentilshommes n'avaient que les qualifications de seigneur, dominus; d'écuyer, armiger; de damoiseau, domicellus; ou la dignité personnelle de chevaliers, miles.
Au XVe siècle, nos rois commencèrent à multiplier les érections de terres en marquisats, comtés ou baronnies. Dans l'origine, les lettres patentes ne spécifiaient point, la réservation du fief titré à la couronne, ou défaut d'hoirs mâles; mais, pour arrêter autant que possible l'augmentation de leur nombre, cette réversion fut formellement ordonnée par un édit de Charles IX, en 1564. Les successeurs de ce prince y dérogèrent presque toujours par une stipulation expresse; lui-même en avait donné souvent l'exemple. Le nombre des terres titrées s'accrut de jour en jour.
L'ambition impatiente ou déçue se lassa d'attendre la faveur royale, et l'usage de prendre des titres à volonté s'introduisit peu à peu sous le règne de Louis XIII. Il devint presque général sous Louis XIV.
M. le duc de Fezensac raconte, dans son histoire de la maison de Montesquiou, publiée en 1837, que ses ancêtres de la branche de Marsan s'étaient toujours contentés de s'appeler seigneurs; que son grand-oncle prit le premier le titre de comte de Marsan, et son aïeul celui de comte de Montesquiou. Un paysan, qui passait un acte avec ce dernier, prit la qualité de seigneur; interrogé par M. de Montesquiou, qui manifestait son étonnement, le villageois répondit: "Je suis seigneur comme vous êtes comte".
Pour mettre un frein aux usurpations de titres, un arrêt de la cour du parlement de Paris, du 13 août 1663, fit défense à tous les propriétaires de terres de se qualifier barons, comtes, marquis, et d'en prendre les couronnes sur leurs armes, sinon en vertu de lettres patentes bien et dûment vérifiées en cour; à tous gentilshommes de prendre la qualité de messire et de chevalier, sinon en vertu de bons et valables titres; et à ceux qui ne sont point gentilshommes de prendre qualité d'écuyers, à peine de 1500 livres d'amende. Cet arrêt fut confirmé par diverses déclarations du roi, notamment par celle du 8 décembre 1699, qui le rend exécutoire dans les provinces d'Artois, de Flandre et de Hainaut, nouvellement réunies à la Couronne, et qui ajoute une amende de cinquante florins pour les nobles, de cent pour les roturiers qui auront usurpé les qualités de marquis, comte, baron et autres.
La négligence qu'on mit à faire exécuter ces défenses laissa accroître le mal à un tel point, que M. de Clairambault, généalogiste des ordres du roi, écrivait le 8 juin 1748 à M. le Tourneur, premier commis de la guerre : "La question que vous me proposez par votre lettre du 6 de ce mois, sur le titre de marquis pour M. de Brehan, me paraît un scrupule nouveau; car ce titre, ainsi que celui de comte ou de baron, sont devenus aussi prodigués et aussi communs pour les militaires, que celui d'abbé pour tous les ecclésiastiques sans abbaye; il est vrai que ces titres, n'étant pas soutenus de leurs vrais fondements, qui sont des lettres patentes d'érection, registrées soit pour le sujet, soit pour ses ancêtres, ne sont utiles que pour les adresses de lettres et les conversations avec des inférieurs; ainsi, je crois, monsieur, que vous pourrez faire là-dessus tout ce que bon vous semblera; l'abus en est si grand depuis longtemps, qu'il serait à présent bien difficile de le réformer. Quoique, dans la règle, je ne dusse passer dans les preuves de MM. les chevaliers des ordres aucun de ces titres de comtes, marquis et barons, etc., qui ne sont pas revêtus de lettres patentes registrées, je me trouve souvent obligé de suivre le torrent, parce que de le refuser à un lieutenant-général, quand il est ainsi qualifié dans ses prévisions, ce serait sembler vouloir le dégrader et me faire une affaire personnelle; cependant cela est, je vous l'avoue, contre toutes règles, de même que les couronnes qu'ils mettent à leurs armes, en conséquence de ces titres imaginaires. Votre question me rappelle un bon propos sur ce sujet : un marquis de l'espèce dont il s'agit, mécontent des plaisanteries d'un quelqu'un, s'échauffa jusqu'au point de le menacer de l'aller chercher et de le trouver dans quelqu'endroit qu'il pût se cacher; le plaisant l'en défia en lui disant qu'il connaissait un endroit où certainement il ne pourrait pas le trouver. - Et quel peut être cet endroit? dit le marquis. - C'est dans votre marquisat, répondit le plaisant.
Ainsi, dès l'année 1748, et de l'aveu de Clairambault, l'abus était devenu, sinon impossible, du moins très-difficile à réformer; et lui-même, généalogiste des ordres du roi, était souvent obligé de suivre le torrent. Un usage qui s'introduisit dans les admissions aux honneurs de la cour, sembla justifier les usurpations en les régularisant en certains cas. Le premier gentilhomme de service, chargé d'introduire la personne présentée, la nommait à haute voix en lui donnant la qualification qui se trouvait portée dans le certificat du généalogiste; et si l'impétrant n'avait pas eu jusqu'alors de titre, il en choisissait un parmi ceux de marquis, comte ou baron, celui de duc excepté. Cette qualification restait personnelle, il est vrai, au gentilhomme admis aux honneurs de la cour; à moins qu'il ne se pourvût en obtention de lettres patentes, et qu'il ne payât le droit de marc d'or prescrit par l'édit royal du mois de décembre 1770. Mais les déclarations et arrêts n'étaient pas mieux suivis sur ce point que sur les autres; et presque toujours les fils conservèrent les titres que leurs pères avaient ainsi obtenus, ou ne s'en dessaisirent que pour les changer contre d'autres plus éminents à leurs yeux. Tels étaient les lois et les usages qui régissaient la possession des qualifications nobiliaires, lorsque la révolution de 89 bouleversa l'ordre social en France.
Un décret de l'Assemblée constituante, du 19 juin 1790, supprima les titres et les armoiries. Mais le sénatus-consulte du 14 août 1806 et l'ordonnance du 1er mars 1808 les rétablirent, et l'article 74 de la charte de 1814, devenu l'article 62 de celle de 1830, est ainsi conçu: "l'ancienne noblesse reprend ses titres; la nouvelle conserve les siens."
Sous la législation qui nous régit actuellement, nul ne peut prendre d'autres noms que ceux qui lui sont donnés dans son acte de naissance, à moins de s'y faire autoriser par ordonnance royale. Le ministère public, ou les particuliers ayant un intérêt direct, peuvent poursuivre l'exécution de cette clause; mais le nombre de ceux-ci est infiniment petit, et les poursuites faites d'office par celui-là sont extraordinairement rares.
D'ailleurs, le Code pénal ne prononce aucune condamnation contre la personne qui usurpe un nom; et c'est par une procédure purement civile qu'on peut attaquer le violateur de cette loi, et obtenir un jugement en vertu duquel les faux noms pris dans des actes de l'état civil doivent être rayés. Les frais de procédure et la possibilité d'éluder perpétuellement la loi, en changeant le nom qu'on usurpe ou seulement son orthographe, rendent les poursuites presque inutiles et illusoires.
La lacune de la loi est encore plus grande au sujet de l'usurpation de titre; les actes de l'état civil ne peuvent régulièrement la constater. Si l'on se reporte à l'acte de naissance d'un individu ou à l'acte de mariage de ses père et mère pour connaître les qualifications nobiliaires qu'il est droit de prendre, il sera presque impossible d'arriver à un résultat exact et satisfaisant. Car, dans les familles, la hiérarchie des titres amène des variations chaque fois qu'un décès change le chef de famille ou les membres intermédiaires entre lui et les petits-fils ou les cadets.
Il n'y a qu'un seul cas où l'usurpateur d'un titre soit sous le coup de la loi; c'est lorsque le motif qui l'a dirigé est lui-même répréhensible; mais c'est moins alors le fait lui-même que le but qui rend le coupable justiciable du tribunal correctionnel.
Au sein d'un abus aussi général, le titre de duc resta seul à l'abri des usurpations, parce que son importance et cette de la dignité de pair qui lui était presque inséparablement attachée, ne permettaient ni à la tolérance, ni à l'ambition d'aller jusque-là. On ne pensait même pas avoir besoin de prévoir de tels empiètements; et nous remarquons en effet, dans les arrêts ci-dessus mentionnés, que l'énumération des titres qu'il est défendu de prendre sans concession régulière passe sous silence celui de duc.
Le nombre des maisons ducales aujourd'hui existantes en France ne s'élève qu'à soixante, dont à peine la moitié est de création antérieure à 1789. Six ou huit seulement sont en possession de leur dignité en vertu de droits dont on puisse discuter la validité. Ce sont: 1ère, celles dont le titre vient d'une concession primitive, irrégulière; 2ème, celles qui possèdent leur titre par transmission, et dont la substitution n'a pas été revêtue de toutes les formalités nécessaires.
Le rang des ducs, qui a toujours été le premier en France, le petit nombre de personnes qui sont revêtues de ce titre, et l'espèce d'inviolabilité qui l'a mis à l'abri des usurpations, tels sont les motifs qui nous ont fait, dans le cadre de cet ouvrage, consacrer aux maisons ducales une partie spéciale et exclusive.
On donnait autrefois aux ducs les qualifications de Grandeur et de Monseigneur; mais depuis près d'un siècle, ces qualifications n'étant pas obligatoires, on les appelle simplement monsieur le duc. Le roi les traitait de cousins.
Dans la Grande-Bretagne, où les titres, à l'exception de celui de baronnet, sont exclusivement affectés aux pairies, il n'y a que vingt et un ducs anglais, sept écossais et un irlandais.
En Allemagne, on trouve les ducs d'Anhalt, de Brunswick, de Nassau, les grands-ducs de Bade, de Hesse, de Mecklembourg, tous souverains indépendants, faisant partie de la Confédération germanique.
En Espagne, le titre de duc est généralement affecté à la grandesse; en Italie, il est porté par un certain nombre de familles de la haute noblesse.
En Russie, il n'y a pas de duché; les membres de la famille impériale sont seuls qualifiés grands-ducs.

PRINCE

La qualification de prince, qui se donne en France, comme dénomination générique, à tous les rejetons du sang royal, occupa toujours le second rang comme dignité inhérente à la possession d'une terre, et ne fut affectée à aucun des grands fiefs ni arrière-fiefs immédiats de la couronne; ce qui semblerait même devoir la faire placer après la qualité de comte, si l'usage contraire n'avait prévalu depuis trois siècles.
Il n'y eut jamais de terre érigée régulièrement en principauté par lettres patentes de nos rois. Presque toutes celles qui en reçurent le titre durent cet avantage aux circonstances suivantes:
Le nom de prince était dans l'origine synonyme de celui de sire ou seigneur, comme le prouve Ducange dans son Glossaire, tome V, page 846. Le mot latin princeps, primus caput, dont il est un dérivé, exprimait simplement l'idée de primauté, de prééminence. Nous voyons en effet, dans les chartes du XIème et du XIIème siècle, beaucoup de fiefs, la plupart sans importance et sans étendue, dont les possesseurs prirent indistinctement, et quelquefois simultanément, les qualités de princeps ou de dominus. Ducange en cite un grand nombre d'exemples, auxquels on pourrait en ajouter encore beaucoup d'autres. C'était sans doute un résultat de l'anarchie qui régnait alors, et qui donnait au plus petit vassal la prétention d'être indépendant, de ne reconnaître aucune suprématie, et de s'intituler, comme le faisaient quelques-uns, duc, comte, etc., par la grâce de Dieu. Lorsque le régime féodal se constitua plus régulièrement, l'expression princeps, prince, changea de valeur, et devint une qualification générique exclusivement réservée aux rejetons du sang royal et aux membres des maisons souveraines.
Cependant, plusieurs de ces seigneuries, dont les anciens propriétaires s'étaient appelés princes, passèrent dans les temps modernes sous la domination de familles puissantes, qui relevèrent le titre de prince, au mépris de son changement d'acception. Le haut rang des usurpateurs leur assura la tolérance, la courtoisie fit le reste. C'est ainsi qu'il s'établit en France un certain nombre de principautés parmi les fiefs qui formaient le patrimoine de grandes maisons, pour la plupart ducales ou d'origine souveraine.
De nos jours, la question de synonymie des titres de sire et de prince a été soulevée par M. le Marquis d'Asnières-la-Chateigneraye. Sans doute, puisque les anciens seigneurs de Pons prenaient la qualité de sires, ils auraient pu, à l'exemple de beaucoup de leurs contemporains, se qualifier princeps, princes; mais il faut remarquer: 1ère qu'ils ne l'ont pas fait; 2ème qu'il faut tenir compte de la différence de valeur qu'a épouvée la même expression.
En Angleterre, la qualification de prince n'appartient qu'aux rejetons du sang royal.
En Russie, elle est portée par les familles de la haute noblesse qui se prétendent de race souveraine. Ces maisons ne s'élèvent qu'à soixante environ.
En Allemagne, où il n'y a que quelques duchés, tous souverains, le titre de prince est le titre le plus éminent de la noblesse médiatisée: l'empereur le confère par diplôme, soit à tous les membres d'une famille, soit à l'aîné seulement dans l'ordre de primogéniture. Le pape, qui donnait autrefois l'investiture à l'empereur, s'est attribué le droit de faire des princes du Saint-Empire-Romain. Cette dernière épithète les distingue des princes de création allemande.

MARQUIS

>Le nom de marquis, en vieux français marchis, a pour racine le mot marchio, employé dans la basse latinité. Il fut donné dans l'origine aux gouverneurs qui commandaient sur les marches ou frontières, et devint héréditaire comme leurs fonctions lorsque le régime féodal s'établit à la faveur de la faiblesse des successeurs de Charlemagne. Ainsi les anciens ducs de Lorraine prirent souvent le titre de marchis de Loheraine, comme on le voit dans le codicille de Thibaut III de l'an 1312, dans un acte de 1320, et dans le testament du duc de Jehan 1er, de 1377.
Les premiers comtes de Toulouse s'appelèrent quelquefois marquis de Provence; et les ducs de Savoie se qualifièrent toujours de marquis en Italie, marchio in Italia; mais cette qualification était alors d'un usage extrêmement rare. Elle ne devint plus commune qu'a partir de la fin du XVème siècle; c'est depuis ce temps qu'on a entendu par marquisat certains fiefs érigés sous ce titre par lettres patentes de nos rois, soit en considération de quelque service important, soit par finance. Les effets de cette création cessaient par l'extinction de la famille qui l'avait obtenue. La baronnie de Trans, érigée en marquisat par le roi Louis XII, au mois de février 1505, en faveur de la maison de Villeneuve, est le premier exemple, en France, de l'application de ce titre à des fiefs situés dans l'intérieur du royaume.
Le marquisat de Saint-Sorlin avait été érigé par le duc de Savoie, le 26 février 1460, en faveur de Gaspard de Varax; mais il n'est devenu français que par la réunion du Bugey à la Couronne. Les marquis de Nesle, dont la création est postérieure aux deux créations que nous venons de citer, se sont souvent appelés premiers marquis de France, parce qu'ils étaient les plus anciens de l'Ile-de-France.
Les noms de marquis et de margrave, (margrave, en allemand margraff, est formé des mots mark, frontière, et graf, comte), malgré leur communauté d'origine, ont acquis peu à peu une signification différente: le margrave, dans les temps modernes, est un prince allemand qui jouit de toutes les prérogatives attachées à la souveraineté.
Les premiers présidents du parlement de Bretagne étaient dans l'usage de prendre le titre de marquis.
Il y a quelques marquisats en Italie, comme celui de Final; en Pièmont, comme celui de Saluces; ils sont assez nombreux en Espagne; il n'y en pas en Suède, en Pologne, en Danemark.
Le titre de marquis était inusité en Angleterre, lorsqu'il fut donné en 1385, par Richard II, au comte d'Oxford. Il a été attaché depuis successivement à diverses pairies dont le nombre ne s'élève qu'à trente-sept: dix-neuf pour l'Angleterre, quatre pour l'Écosse et quatorze pour l'Irlande. Aux sept pairies ducales sont aussi attachés des marquisats; car, d'après la hiérarchie établie, pour être créé duc, il faut avoir une pairie au titre de marquis.
Ceux qui prétendent que le titre de marquis était inférieur en France à celui de comte, allèguent en faveur de leur opinion que nos rois n'ont érigé aucun marquisat en pairie. Mais cela s'explique naturellement: car depuis l'introduction des marquisats en France, toutes les créations de pairies nouvelles ont été faites sous le titre ducal.
D'ailleurs la cause a été décidée en faveur des marquis, lorsqu'un arrêt du conseil privé, du 10 mars 1578, régla qu'une terre érigée en châtellenie devait avoir d'ancienneté haute, moyenne et basse justice sur les sujets de cette seigneurie, avec marché, foire, péage, prévôté, église, etc., et qu'elle devait être tenue à un seul hommage du roi; que la baronnie serait composée de trois châtellenies, ou d'une baronnie et de six châtellenies, le tout tenu du roi; et que le marquisat renfermerait trois châtellenies. Quoique cette décision n'ait jamais été rigoureusement exécutée, elle indique la hiérarchie légale des titres; et dans tous les actes officiels émanés de l'autorité royale ou des cours souveraines, le titre de marquis a précédé celui de comte toutes les fois qu'il s'est agi des deux simultanément.
On pourrait tirer aussi un argument matériel de la forme de la couronne: celle des ducs est surmontée de huit fleurons; celle des comtes est rehaussée de seize pointes, terminées par une grosse perle; celle des marquis tient de l'une et de l'autre; elle est ornée de fleurons, séparés chacun par trois perles portées sur une même pointe.
Lorsque Napoléon constitua la noblesse impériale, il la composa de princes, de ducs, de comtes et de barons, à l'exclusion des titres de marquis et de vicomtes. La restauration rétablit l'ancien ordre de choses, et l'ordonnance du roi du 31 août 1847, concernant la chambre des pairs donna la préséance aux marquis sur les comtes. Depuis 1830, on en est revenu aux usages de l'empire, et il n'y a pas eu de concession des deux qualifications exclues par Napoléon.
Nous devons ajouter que, malgré la supériorité du titre de marquis sur celui de comte, aucun prince de la famille royal ne porta le premier, sans doute parce qu'il n'y eut jamais de fief érigé en marquisat assez considérable pour former l'apanage d'un rejeton de la maison de France. Mais cela ne touche en rien à la question de préséance, car
la naissance seule fixe le rang des princes du sang; ainsi les comtes d'Artois et de Provence précédaient, sous Louis XVI, le duc d'Orléans; le prince de Condé précédait le duc de Bourbon.

COMTE

Le nom de comte était connu chez les Romains; mais ce ne fut que sous les derniers empereurs qu'on commença à désigner par ce titre une personne constituée en dignité. Eusèbe dit que Constantin partagea les comtes en trois classes: ceux de la première étaient qualifiés illustres, ceux de la seconde clarissimes ou considérés, et ceux de la troisième très-parfaits. Les derniers avaient certains privilèges; mais les premiers et les seconds composaient seuls le sénat.
A peine le nom de comte devint-il un titre, qu'il fut ambitionné, et qu'en le prodiguant on lui enleva une partie de son prix.
Il y eut des comtes pour le service de terre, pour le service de mer, pour les affaires civiles ou religieuses, pour l'administration des finances et de la justice. Les latins les appelaient comites, du verbe comitari, accompagner, parce qu'ils formaient la suite du prince. C'était parmi eux que les empereurs choisissaient leurs généraux d'armée et les gouverneurs de province. En passant à de nouvelles dignités, ils retinrent leur titre primitif; d'où il arriva que ceux qui leur succédèrent dans ces dignités se firent appeler comtes, quoiqu'ils n'eussent jamais été attachés à la personne de l'empereur. Les anciens comtes du palais, à Rome, portèrent d'abord le nom de comites et de magistri; ils supprimèrent peu à peu cette dernière qualification. Les ducs n'étaient alors distingués des comtes que par la nature de leurs fonctions: ceux-ci étaient pour l'administration de l'intérieur, ceux-là pour la conduite de la guerre.
Les barbares, en s'établissant dans les Gaules et dans les autres provinces de l'empire d'Occident, n'abolirent point la forme du gouvernement romain, et conservèrent les titres de comtes et de ducs que portaient les gouverneurs des provinces et les magistrats des villes. Sous les rois de la seconde race, ces seigneurs, qui avaient été jusque-là amovibles, rendirent leurs fonctions héréditaires. Ils usurpèrent même la souveraineté des pays et des cités où ils commandaient, lorsque Hugues Capet et le comté de Paris, monta sur le trône. Son autorité n'était pas d'abord assez affermie pour s'opposer à ces usurpations; et c'est de là, dit-on, qu'est venu le privilège qu'ils ont encore de porter une couronne dans leurs armes. Peu à peu les comtes sont rentrés sous l'autorité royale, et leur titre n'a plus été qu'une qualification honorifique, laissée ou concédée par le prince, qui se réservait la juridiction et la souveraineté sur la terre qu'il érigeait en comté.
D'abord la clause de réversion du comté à la couronne, à défaut d'enfants mâles, ne fut point mise dans les lettres patentes d'érection; pour obvier à la multiplicité des concessions, Charles IX ordonna en 1564 qu'elle aurait lieu de droit, sauf dérogeance contraire. Cette réversion ne regardait que le titre et non le domaine, qui passa toujours aux héritiers ordinaires, mais sans attribution de la dignité.
Les plus anciens comtés sont ceux qui ont été inféodés par nos rois avant le XIème siècle. C'étaient des grands fiefs ou fiefs immédiats, auxquels on a donné le nom de provinces depuis leur réunion à la couronne. Il n'y avait en France, avant l'usage des érections de terres titrées, aucun duché qui ne fût grand fief; mais il y avait beaucoup de comtés qui ne l'étaient pas: comme ceux de Clermont en Argonne, de Dammartin, de Gien, d'Aumale.
Depuis un siècle, tous ceux qui ont été revêtus du titre de comte n'ont pas eu pour cela des domaines érigés en comté. Le roi accordait ce titre par simples lettres patentes, et de sa pleine volonté. L'enregistrement de ces lettres, par les cours supérieures, était seul indispensable comme mesure financière, bien plus que comme mesure d'ordre.
Nos ambassadeurs et nos plénipotentiaires étaient, au siècle dernier, dans l'usage de se qualifier comtes, pour s'entourer d'un éclat et d'un degré de considération proportionné à l'importance de leurs fonctions.
Les chanoines des chapitres nobles de Lyon, de Mâcon, de Brioude, de Saint-Claude, etc., prenaient le titre de comtes.
Il n'y a pas eu d'érection de pairie sous le titre de comté ou de baronnie, depuis celle de Villefranche en Rouergue, au mois d'août 1480, pour Frédéric d'Aragon, prince de Tarente.
En Angleterre, le titre de comte, carl, s'éteignait originairement avec celui qui l'avait reçu. Guillaume-le Conquérant le rendit héréditaire, l'annexa à plusieurs provinces, et le donna en récompense à quelques grands de sa cour, auxquels il accorda, pour soutenir leur rang, la troisième partie des deniers des plaidoiries, amendes, confiscations et autres revenus de la couronne, dans toute l'étendue de leur comté. Cette somme était payée par l'échevin de la province. Les comtes furent depuis créés par chartes; ils n'avaient ni autorité ni revenus dans le comté dont ils portaient le nom; leur titre comtal ne leur valait qu'une pension honoraire sur l'échiquier. C'est aujourd'hui une qualification nobiliaire attachée à un nombre assez considérable de pairies.
L'investiture de cette dignité se fait en Angleterre avec pompe: le roi, tenant les lettres patentes à la main, ceint l'épée à celui qu'il crée comte, lui met le manteau sur l'épaule, le bonnet et la couronne sur la tête, et le nomme consanguineus noster, mon cousin.
Il y a dans la Grande-Bretagne 226 comtes, dont 110 pour la pairie anglaise, 42 pour celle d'Écosse, 74 pour celle d'Irlande.

VICOMTE

Le mot de vicomte, en latin vice-comes, désigne en général celui qui tient la place du comte et qui remplit ses fonctions, qui vices comitis exsequitur.
Quoique le titre de comte fût en usage chez les Romains, et que quelques auteurs comparent les vicomtes à ces commissaires ou députés que l'on appelait legati proconsulum, il est certain que le titre de vicomte n'était pas connu à Rome, et qu'il n'a commencé à être employé qu'en France.
Les comtes des provinces avaient sous eux des comtes des villes; par exemple, le comte de Champagne avait pour pairs les comtes de Joigny, de Rhétel, de Brienne, de Portien, de Grand-Pré, de Roucy et de Braine; quelques écrivains y ajoutent celui de Vertus.
Cependant, il y avait certaines province où le comte avait sous lui, soit dans sa capitale, soit dans les principales villes de son gouvernement, des vicomtes au lieu de comtes particuliers, comme en Poitou où il y avait quatre vicomtés, qui étaient Thouard, Brosse, Châtellerault et Rochechouart. En Guienne et surtout en Languedoc il existait beaucoup de seigneuries vicomtales.
L'origine de l'institution des vicomtes remonte jusqu'aux temps mérovingiens; il en est fait mention dans le chapitre 36 de la loi des Allemands, publié pour la première fois par Thierry ou Théodoric, fils de Clovis, et roi de Metz et de Thuringe. Ils sont nommés vicecomites, parce que c'étaient des commissaires nommés par les comtes pour gouverner à leur place, soit en leur absence, soit dans les lieux où ils ne résidaient pas, à la différence des vici diminici qui étaient envoyés par le roi dans les provinces et les grandes villes. La loi des Lombards les appelle ministri comitum: ils tenaient la place des comtes dans les plaids ordinaires et aux grandes assises ou plaids généraux, nommés en latin mallum publicum. Ces mêmes officiers sont nommés dans les capitulaires de Charlemagne vicarii comitum, c'est-à-dire lieutenants des comtes; ils étaient au-dessus des centeniers. Leurs fonctions ont donné naissance à la dignité des vicomtes, en suivant la marche que nous allons indiquer.
Les comtes qui avaient le gouvernement des villes, se trouvant chargés tout à la fois du commandement des armées et de l'administration de la justice, et étant, par leur position, beaucoup plus versés dans l'art militaire que dans la connaissance des lois, se déchargeaient des menues affaires de la justice sur des vicaires ou lieutenants que l'on appelait vicomtes, viguiers (vicarii), et aussi prévôts ou châtelains, selon l'usage des provinces. La première de ces trois dénominations semble avoir été particulièrement affectée à ceux qui exerçaient leurs fonctions dans les villes. Cette classe de lieutenants était beaucoup plus éminente que les deux autres, qui administraient de simples châtellenies ou des seigneuries. Comme les fonctions de comte embrassaient le gouvernement et le commandement militaire ainsi que l'administration de la justice, celles des vicomtes s'étendirent aussi en leur absence aux mêmes objets, et comprirent également dans leur juridiction la ville et tout son territoire.
Le nombre des vicomtes, long-temps fort restreint, s'accrut beaucoup à partir du règne de Charles-le-Chauve; c'étaient en général des cadets de race comtale.
Sous les derniers rois carlovingiens, les ducs et comtes s'étant rendus indépendants et héréditaires dans leurs gouvernements, qui n'étaient auparavant que de simples commissions, les vicomtes imitèrent leur exemple.
Les offices des vicomtes furent inféodés comme ceux des ducs, des comtes, etc.; les uns relevèrent directement du roi, les autres furent sous-inféodés par les comtes.
L'historien du Languedoc, dom Vaissète, place dès le Xème siècle les vicomtes au nombre des grands vassaux de la couronne. Brussel, dans son traité de l'Usage des Fiefs, chap. 1er, P; 692, prétend au contraire que les vicomtés ne furent mis au rang des fiefs de dignité que vers le milieu du XIVème siècle; mais ce jurisconsulte a pris par mégarde l'époque même de le leur décadence pour celle de leur institution; car si ce fut alors que commença l'usage d'ériger par lettres patentes une multitude de simples fiefs en vicomtés, ces nouveaux vicomtes n'eurent, des anciens grands feudataires, que le titre; et il est certain, comme l'observe dom Vaissète, que dès le Xème siècle les vicomtes de Narbonne, d'Albi, de Nismes, de Beziers, de Polignac, jouissaient des droits régaliens dans leurs domaines, et de tous les attributs de la souveraineté.
Sous la restauration, la dignité de vicomte n'était qu'un titre, sans érection de terre, que le roi accordait par lettres patentes à des gentilshommes, ou en vertu de l'institution d'un majorat.
Napoléon, lorsqu'il avait constitué la noblesse de l'empire, en avait exclu la qualification de vicomte, comme celle de marquis. Depuis 1830, cette règle paraît avoir été suivie car on n'a pas d'exemple de création nouvelle de ces deux titres.
Dans la Grande-Bretagne, le nombre des vicomtes, viscount, est de 49 pour les pairies d'Angleterre, de 6 pour celles d'Écosse, et de 44 pour celles d'Irlande.

BARON

L'étymologie du mot baron ou ber, en latin baro, a donné lieu à une foule d'hypothèses, dont une des moins absurdes le dériverait du mot grec XXX, fort, puissant. Ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est que cette expression, dont l'origine celtique est incontestable, a pour racine primitive la syllabe bar ou ber, qui signifiait force, éclat, puissance.
Anciennement on entendait en France par barons tous les seigneurs qui relevaient immédiatement du roi; ainsi, ce mot comprenait indistinctement les ducs, marquis, comtes et autres vassaux directs de la couronne, comme on peut le voir par les diplômes et par les autres monuments émanés de l'autorité royale où le prince, s'adressant aux seigneurs de sa cour et de son armée, les appelle ses barons.
Le cartulaire de Philippe-Auguste donne la liste des barons français, au nombre de cinquante-neuf, qui servaient sous ce prince en 1214, et combattirent avec lui à la bataille de Bouvines.
Depuis le XIVème siècle, l'expression barons, prise dans une signification générale, s'appliquait aux principaux seigneurs d'un pays, à ceux qui avaient séance et voix délibérative aux états. Dans certaines provinces méridionales, on les appelait bons hommes, boni homines.
En Bretagne, les barons précédaient les vicomtes. On voit même que le parlement de Rennes, en vérifiant les lettres d'érection du marquisat d'Épinoy, déclara, par arrêt du 18 février 1575, que c'était sans préjudice du rang et des honneurs, droits et prééminences du baron de Vitré, qui siégeait le premier aux états.
Dans les temps modernes, ce terme a été pris dans une acception beaucoup moins générale, puisqu'il n'est plus que le titre affecté au possesseur d'une baronnie, qui ne prend rang qu'après les ducs, les marquis, les comtes et les vicomtes. C'est le dernier titre de la hiérarchie féodale, quoiqu'il y ait en France et en Allemagne d'anciens barons qui ne voudraient pas le céder à des nobles revêtus des autres qualifications.
Les trois premiers barons de France étaient ceux de Bourbon, de Conty et de Beaujeu, dont les fiefs ont été réunis, il y a plusieurs siècles, à la couronne.
Dans le clergé, il y avait des évêques, des abbés et des prieurs barons, soit qu'anciennement les rois leur eussent accordé ce titre, soit qu'ils possédassent, par leurs libéralités, des baronnies, ou qu'ils les tinssent en fief de la couronne.
Le chef de la maison de Montmorency prend le titre de premier baron de France, comme le plus ancien et le plus éminent de ceux du duché de France; quelquefois aussi il est qualifié premier baron chrétien, par corrélation sans doute avec le titre de roi très-chrétien, que porte son suzerain.
Des écrivains font aussi mention des titres de barons accordés à quelques-uns des principaux bourgeois de Bourges et d'Orléans, comme à ceux de Londres, sans emporter avec eux de caractère de noblesse.
La dignité de baron en Allemagne et en Angleterre a subi à peu près les mêmes phases qu'en France. Il y a aujourd'hui dans la Grande-Bretagne 304 pairies revêtues du titre de baron, 25 écossaises et 72 irlandaises.
Outre les titres de duc, marquis, comte, vicomte et baron, dont l'usage s'est conservé jusqu'à nos jours, et qui ont été appelés à faire partie des qualifications de la noblesse reconstituée par la charte de 1844, il y avait plusieurs autres dénominations génériques qui eurent un rôle analogue sous le régime féodal. Nous allons donner ici les principaux.

VIDAME

Les vidames, connus dans la Septimanie dès l'an 828, étaient originairement des officiers qui représentaient les évêques. Ils exerçaient la justice temporelle de ces prélats, de sorte qu'ils étaient à leur égard à peu près ce que les vicomtes étaient pour les comtes, avec cette différence cependant que dans chaque évêché il n'y avait qu'un seul vidame, et qu'il avait haute, moyenne et basse justice.
On les nommait vidames, vice-domini ou vice-domni, parce que l'évêque était appelé lui-même, par excellence, dominis ou domnus: d'où, en vieux français, on avait fait dom ou dam, qui signifiait seigneur.
Comme les vicomtes, ils changèrent leurs charges en fiefs, et de simples officiers ils devinrent vassaux de leur évêque. Il est à remarquer que la plupart des vidames ont pris leur nom des villes épiscopales, quoique leurs seigneuries en fussent souvent fort éloignées, tel que les vidames de Reims, d'Amiens, du Mans, de Chartres.

SIRE

La qualification de sire équivalait primitivement à celle de baron; lorsque cette dernière fut donnée aux gentilshommes qui obtinrent des érections de terre en des baronnies, la qualité de sire prévalut. Elle était prise par les sires de Beaujeu, de Montlhéry, de Coucy, de Bourbon, etc., pour se distinguer des barons inférieurs qui n'étaient point vassaux immédiats de la couronne.
La dénomination de sire, employée devant le nom de fief de cette manière, le sire de Joinville, ou Anseau, sire de Joinville, a toujours exprimé la haute noblesse; mais placée devant le prénom, comme sire Jean, sire Pierre, elle a toujours caractérisé la roture.
Dans le premier cas, on peut avec raison, prétendre que les titres de sire et de prince étaient synonymes; mais il faut remarquer qu'il s'agit alors d'une époque où le nom de prince n'avait pas la valeur et l'importance qu'on lui a attribuées dans les temps modernes.

CHATELAIN

On appelait seigneur châtelain, castellanus, celui qui possédait un château ou maison-forte munie de tours et fossés, et qui y avait justice avec titre de châtellenie.
Les ducs et les comtes ayant le gouvernement d'un territoire fort étendu préposèrent sous eux, dans les principales bourgades de leur département, des officiers qu'on appela castellani, parce que ces bourgades étaient autant de forteresses appelées en latin castella.
Les châtelains avaient dans leurs attributions le maintien des sujets dans l'obéissance et l'administration de la justice, qui formait alors un accessoire du gouvernement militaire. Ainsi, ce n'était primitivement que de simples officiers qui usurpèrent dans les temps de troubles la propriété de leur charge, de sorte qu'elle devint un titre de seigneurie et non plus une fonction personnelle, excepté en Auvergne, en Poitou, en Dauphiné et dans le Forez, où les châtelains étaient encore, au commencement de la révolution, de simples officiers.
On nommait châtelains royaux ceux qui relevaient immédiatement de la couronne, à la différence de ceux qui étaient vassaux d'une baronnie ou d'une autre seigneurie titrée. Pour la plupart ils avaient été originairement les simples gardiens de châteaux dont ils reçurent ensuite l'inféodation de nos rois comme récompense de leur fidélité. Ces châtelains tendant de plus en plus à abuser de leur autorité, Philippe-le-Bel et Philippe-le-Long les destituèrent tous en 1340 et 1346.

COMTOR

Le titre de comtor, qui est resté aux possesseurs de quelques fiefs en Auvergne, en Rouergue et dans le Gévaudan, signifiait, au XIème siècle, un vassal immédiat du comte, inférieur au vicomte, mais supérieur à tous les autres seigneurs. Dom Vaissète en conclut qu'on doit mettre de comtorat au rang des fiefs de dignité.

SATRAPE ET SOUDAN

Quelques membres de la maison d'Anduse et plusieurs seigneurs de Sauve prirent, dans le XIème siècle, le nom de satrapes. D'autres, de la maison de Preissac, en Guienne, portèrent jusqu'au XIVème siècle la qualité de soudans de Latran. On n'a pas besoin de faire remarquer que ces qualifications orientales ont été adoptées à l'occasion des premières croisades.

CAPTAL ET MISTRAL

La qualité de captal, en latin capitalis, que portaient les seigneurs de Buch, de la maison de Grailly, et les seigneurs de Puychagut, près de Marmande, signifiait chef ou capitaine. C'était le nom d'un office qui, comme celui de châtelain, se perpétua dans quelques familles, sans rien conserver de son ancienne signification.
La qualité de mistral, usitée dans quelques familles nobles du Dauphiné, comme celles de Falcos et de Montdragon, était le nom d'un office dont les principales fonctions étaient de percevoir les droits du dauphin et de tenir la main à l'exécution des jugements dans l'étendue de ses domaines. Valbonnais, dans son Histoire du Dauphiné, dit que cet office ne se confiait ordinairement qu'aux nobles qui faisaient profession des armes.

CHEVALIER ET ÉCUYER

La dignité de chevalier, en latin miles, était dans l'origine le grade le plus éminent de la noblesse militaire. Il n'y avait pas de récompense plus ambitionnée et plus capable d'animer et de redoubler le courage des guerriers dans les occasions périlleuses. Cette dignité, toute personnelle et on transmissible héréditairement, se conférait par une espèce d'investiture accompagnée de cérémonies religieuses et d'un serment solennel, excepté en temps de guerre, sur les champs de bataille, où la collation se réduisait à la simple accolade.
Il y avait deux classes de chevaliers: les bannerets, qui possédant de grands fiefs, avaient le droit de lever bannière et étaient tenus de soudoyer cinquante arbalétriers pour le service du roi; les bacheliers, qui, n'étant point barons ou n'ayant pas assez de vassaux pour lever bannière, servaient sous les ordres des premiers, et quelquefois même sous les enseignes des écuyers bannerets.
On rapporte la décadence de cette institution au privilège qu'eurent les prélats et les barons de certaines villes du royaume, comme à Beaucaire et à Limoges, d'anoblir les bourgeois en leur conférant la ceinture militaire, cérémonie en usage pour armer un chevalier. L'invention de la poudre et la révolution qu'elle apporta dans la tactique et la discipline militaire doivent être regardées comme les deux plus véritables causes de l'anéantissement de la chevalerie.
Nos rois introduisirent, à la fin du XIVème siècle, l'usage d'anoblir par la chevalerie, et ce ne fut depuis qu'une simple qualification, d'abord caractéristique d'ancienne noblesse, et dans la suite prodiguée aux familles encore trop récente pour pouvoir s'attribuer des titres de dignité.
Un édit de Louis XIV, du mois de novembre 1702, porta création dans les pays de Flandres, d'Artois et de Hainaut, de 200 chevaliers héréditaires qui se recruteraient parmi les principaux gentilshommes de ces provinces.
En Lorraine, les expressions lettres d'anoblissement ou de chevalerie étaient devenues synonymes, car les ducs avaient pris la coutume d'accorder la qualification de chevalier à tous ceux qu'ils élevaient à l'ordre de la noblesse.
On appelait écuyers, armigeri, les gentilshommes qui n'étaient pas encore parvenus à la chevalerie. Ils ne pouvaient porter, au lieu d'éperons dorés et d'habits de velours, que des éperons argentés et des habits de soir.
Le titre d'écuyer et de chevalier était d'abord affecté à la noblesse faisant profession des armes, à l'exclusion de celle qui devait son origine aux grands offices et aux charges de la magistrature. Aussi, les présidents et les conseillers des cours souveraines ne prirent d'abord que la qualification de maître, équivalente alors à celle de noble; mais dans la suite les gens de robe et autres anoblis prirent les mêmes titres que la noblesse d'épée.
Il y avait certains emplois dans le service militaire et quelques charges qui donnaient le titre d'écuyer, sans attribuer à celui qui le portait une noblesse héréditaire et transmissible. C'est ainsi que la déclaration de 1651 et l'arrêt du grand conseil portaient que les gardes du corps du roi pouvaient se qualifier écuyers. Les Commissaires et contrôleurs des guerres et quelques autres officiers prenaient aussi le même titre.

VARLET

La qualité de valet ou varlet étai autrefois honorable et synonyme de celle d'écuyer. Les fils des princes eux-mêmes prenaient souvent ce titre. Villebardouin s'en sert pour désigner le fils de l'empereur dans plusieurs passages de sa chronique. Du Chesne, en son histoire de la maison de Richelieu, rapporte le titre de l'an 1201, dans lequel Guillaume du Plessis se qualifie valet, mot qui signifie, dit-il, écuyer ou damoisel. Il ajoute que les nobles, en s'intitulant valets donnaient à connaître par là qu'étant issus de chevaliers, ils aspiraient eux-mêmes à le devenir. Il cite plusieurs titres anciens où un personnage noble, qualifié valet, se dit fils d'un chevalier. Wace, dans son roman de Brut, s'exprime ainsi en parlant du jeune Richard, duc de Normandie;
Ni ère mie chevalier, encore ère valeton
N'avoir encore en vis ne barbe, ne grenon.
Ducange dit qu'on a appelé valeti les enfants des grands seigneurs qui n'étaient pas chevaliers, et qu'on a donné ce titre à des officiers honoraires, comme les valets-tranchants, les valets-échansons.
Plusieurs auteurs dérivent l'expression valet de l'hébreu valad, qui signifie enfant; d'autres lui donnent pour racine le mot bar, qui veut dire fils, et que les Espagnols ont reçu des Sarrazins, et en le changeant en varo, d'où l'on a fait varelet et par syncope varlet, comme on disait autrefois. Dans une troisième hypothèse, elle aurait une origine commune avec le mot baron.
Les varlets remplissaient à peu près les mêmes fonctions que les écuyers auprès des chevaliers, et portaient leur écu ou bouclier. Cependant il semble que la condition du varlet se rapprochait plus de celle du page.
Nos cartes à jouer offrent une preuve sensible et péremptoire de l'honneur qui était attaché à cette qualité, car les quatre valets reçurent les noms des guerriers les plus célèbres.

DAMOISEAU

Le titre de damoiseau ou damoisel, en latin domicellus, diminutif de dominus, seigneur, fut, comme ceux d'écuyer et de varlet, porté par les enfants de souverain et de très-grands princes, et réservé en général aux fils de chevaliers. Il est synonyme de donzel, expression usitée jadis en Périgord, en Quercy et dans d'autres provinces méridionales.
Les seigneurs de Commercy prenaient héréditairement la qualité de damoiseau, affectée sans doute à la possession de ce fief. C'était un franc-alleu qui avait conservé de très-beaux droits de souveraineté.

GENTILHOMME

Le gentilhomme est l'homme noble d'extraction, nobilis genere, à la différence de celui qui est anobli par charge ou par lettres du prince, et qui, étant noble sans être gentilhomme, communique la noblesse à ses enfants, lesquels deviennent gentilshommes.
Quelques écrivains pensent que ce mot vient de l'expression latine gentis homines, qui signifie les hommes de l'État, c'est-à-dire dévoués au service du pays, comme l'étaient autrefois les Francs. Tacite, parlant des moeurs des Germains, dit que les compagnons du prince n'abordent les affaires qu'après avoir embrassé la profession des armes, que l'habit militaire est pour eux la robe civile, qu'ils ne sont jusque-là que membres de familles particulières, mais qu'alors ils appartiennent à la patrie et à la nation, dont ils deviennent les membres et les défenseurs.
L'opinion la mieux fondée donne pour racine au mot gentilhomme l'adjectif gentiles, qui signifiait d'abord les rejetons de même famille, et qui devint ensuite l'épithète générique de ceux qui étaient, par leur naissance distinguée, en état de prouver leur origine et leur ancienneté.
La qualité de gentilhomme exprimait autrefois une noblesse féodale dont l'origine remontait aux temps les plus reculés, et ajoutait encore l'idée d'une ancienne extraction celle d'une longue possession de services militaires. Cette qualité fut tellement en honneur que plusieurs de nos rois n'avaient d'autre serment que la foi de gentilhomme. François 1er, dans le lit de justice qu'il tint le 20 décembre 1527, dit qu'il était né gentilhomme et non roi; et Henry IV, lorsqu'il prononça le discours d'ouverture des états à Saint-Ouen de Rouen en 1596, déclara qu'il n'établissait pas de distinction entre les princes du sang et sa brave et généreuse noblesse, la qualité de gentilhomme, ajouta-t-il, étant le plus beau titre que nous possédions.
Lorsque la qualification de gentilhomme devint commune à toute la noblesse, on y ajouta les distinctions de la naissance pour en relever la valeur. De là sont venues les expressions: gentilhomme de nom et d'armes, de haut parage, de sang, etc.
André Duchesne, historiographe de France, dit que les gentilshommes de nom et d'armes sont ceux qui peuvent montrer que le nom et les armes qui leur appartiennent ont été portés de temps immémorial par leurs aïeux, et qu'ils ont toujours fait profession de cette qualité, dont on ne peut découvrir l'origine.
Froissard avait dit auparavant de quelques chevaliers: Ils sont gentilshommes de nom, parce que leur noblesse est aussi ancienne que leur nom, qui les a toujours distingués des autres hommes et des anoblis; gentilshommes d'armes, parce qu'ils ont été les premiers à s'illustrer dans les pays conquis, et parce que les armoiries suivent naturellement les noms.
Le P. Menestrier pense que le gentilhomme de nom et d'armes est celui qui, sans aucun reproche de roture paternelle ou maternelle, a un nom de famille et des armoiries connus soit par le témoignage de gens de même qualité que lui, soit par les tournois, par les registres des hérauts dans lesquels sont inscrits et les noms et les armes des plus illustres familles, soit enfin par les titres. Il dit aussi qu'on peut donner cette qualité aux seigneurs qui avaient le droit de porter bannière dans les armées, d'y représenter leurs armoiries, et d'y crier leur nom pour rallier les troupes.
On peut donc conclure, de toutes ces opinions, que la noblesse de nom et d'armes est celle qu'on appelle de race chevaleresque, c'est-à-dire celle dont l'origine est inconnue et aussi ancienne que l'hérédité des fiefs et que l'usage des noms de famille.
En Bretagne, la noblesse ne prenait souvent aucun titre, mais on reconnaît son caractère dans les partages, où l'aîné prend toujours la qualité d'héritier principal et noble. Cette formule, particulière à la province, tenait à un point de sa législation. Avant l'an 1185, les fiefs se partageaient également entre tous les mâles de la même maison. A cette époque, Geoffroy II, duc ou comte de Bretagne, tint une assise dans laquelle, du consentement des prélats et des barons, il régla que désormais les aînés hériteraient de toutes les possessions féodales de leur maison, à la charge de pourvoir à la subsistance de ses juveigneurs ou puînés, suivant leur condition. Cette ordonnance, qui assurait la conservation des grandes familles et les services militaires dont étaient tenus les vassaux des ducs de Bretagne, est appelée communément l'assise du comte Geoffroy.