INTRODUCTION HISTORIQUE par M. de La ROQUE (1800)

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INTRODUCTION HISTORIQUE

Origine et formation de la Noblesse
Anoblissement par lettres patentes et par les fonctions
Les noms. - Les titres. - Les armoiries. - Les devises.
Recherches de Noblesse. - Jugements de maintenue.
Noblesse militaire.
Le Languedoc et sa constitution politique.

IV
RECHERCHES DE NOBLESSE. - JUGEMENTS DE MAINTENUE

La profession des armes, l'investiture et la propriété du fief, l'hommage au suzerain ont assuré à la noblesse, jusqu'à la fin du treizième siècle, une possession d'état suffisante, qui la dispensait d'en fournir ou d'en conserver des preuves, qui n'étaient pour ainsi dire que dans la notoriété publique.
Dès que les usurpations commencèrent avec l'abolition du servage, par l'acquisition de biens nobles, dont l'inféodation était protégée par les suzerains jaloux de grossir le nombre de, leurs vassaux, ou bien encore par l'attribution de certaines dénominations qui faisaient préjuger la qualité des personnes; surtout depuis les premières lettres d'anoblissement, les rois-d'armes furent préposés à la surveillance et à la réception des preuves de noblesse. Ils réglaient l'entrée dans les tournois et leur composition; les conditions d'initiation et d'admission dans les ordres de chevalerie. Leur juridiction s'étendit peu à peu sur toutes les provinces où ils eurent des lieutenants, hérauts et poursuivants d'armes, chargés de veiller à l'exécution des ordonnances sur la noblesse.
"Afin qu'aucun particulier n'usurpât à son gré un rang et un titre qui ne lui était pas dû, les rois d'armes et sous leur autorité les hérauts et poursuivants d'armes, dans les provinces, étaient chargés de tenir ce qu'on appelait les Provinciaux, c'est-à-dire des registres de toutes les familles nobles et de leurs armoiries blasonnées.
"Pour prévenir même les abus qui pouvaient naître dans l'usage des blasons, des couronnes, des casques, des timbres et supports, ces officiers faisaient de temps en temps dans les provinces des visites qui les mettaient en état de renouveler et d'augmenter leurs registres."
Charles VIII pourvut plus sûrement au bon ordre en créant un maréchal d'armes, et décida par un règlement particulier "que tout noble serait tenu une fois en sa vie de faire description de sa généalogie et de sa race jusqu'à quatre degrés et plus avant, tant qu'il pourrait monter et s'étendre, aux mains du bailli ou sénéchal du lieu, pour y avoir recours quand il serait besoin, et que les héritiers seraient obligés de continuer cette description dans l'an du décès d'un gentilhomme et à chaque mutation de famille."
Ces preuves de noblesse et descriptions d'armes ne sont pas arrivées jusqu'à nous, du moins pour la portion du Languedoc qui nous occupe plus particulièrement. Il paraît que ces catalogues furent en usage jusqu'au règne de Henri III, quoique nous n'en ayons trouvé la mention dans aucune maintenue. Les troubles arrivés sous le règne de ce prince sont l'époque des premiers désordres.
La création d'un office de juge d'armes chargé de dresser un registre universel de tous les nobles et de leurs armoiries, fut réclamée par la noblesse dans les états généraux de 1614. Louis XIII déféra à ses voeux par édit de 1615. Cet office fut momentanément supprimé en 1696, et rétabli en 1701. La première charge en fut donnée à François de Chevrier de Saint-Maurice, chevalier de l'ordre du roi, en 1616. Pierre d'Hozier le remplaça en 1641, et transmit cette charge à ses descendants, qui l'ont conservée jusqu'à la révolution française. Les attributions du juge d'armes étaient limitées à la réception des preuves de noblesse exigées pour l'entrée dans les ordres de chevalerie, dans les emplois de la cour ou dans les maisons d'éducation réservées aux enfants des gentilshommes.
La rédaction du catalogue des nobles et de leurs armoiries fut confiée aux intendants et aux commissaires départis par le roi dans les provinces, chargés de faire les recherches et d'accorder des jugements de maintenue.
Ces Recherches de noblesse soumettaient tout individu se disant noble à justifier de cette qualité par titres authentiques. Elles étaient particulières à une province, ou générales dans tout le royaume.
La plus fameuse par la rigueur des procédures, la durée des poursuites et la quantité des amendes versées dans le trésor public est celle qui fut commencée en 1666 à l'instigation de Colbert, suspendue en 1674 à cause des guerres, et reprise en 1696 avec moins de sévérité, et qui n'a entièrement cessé qu'en 1718.
Après les troubles civils des seizième et dix-septième siècles, Henri IV, Marie de Médicis et Louis XIII avaient récompensé par de nombreux anoblissements les services de leurs partisans; Richelieu et Mazarin usèrent largement de la même monnaie en faveur de leurs créatures. Les états généraux de 1614, et la noblesse de Languedoc dans ses cahiers, avaient déjà protesté contre ces abus, sans en obtenir le redressement.
"La fièvre des prétentions nobiliaires gagna les classes aisées: celui-là, sous prétexte de services rendus; celui-ci, s'autorisant de la possession de quelque bien noble; cet autre, profitant de l'influence que lui donnaient une fortune indépendante, un grade dans l'armée, un emploi dans la magistrature ou les finances, prirent à l'envi la qualité d'écuyer, affectèrent toutes les allures de l'ancienne noblesse, se firent rayer des rôles des tailles, vexèrent le peuple et se déchargèrent sur lui du fardeau des impôts."
Louis XIV comprit le mal et voulut y remédier. Il commença par révoquer tous les anoblissements qui ne remontaient pas au delà de 1606, et ordonna différentes perquisitions des faux nobles dans le ressort de toutes les cours des aides le 30 septembre 1656, dans le ressort de celle de Paris le 8 février 1661, et dans tout le royaume le 22 février 1664 et le 26 février 1665.
Celle qui fut ordonnée par l'arrêt du conseil d'État, du 22 mars 1666, soumettait toute la noblesse, la vraie comme la fausse, à la production de ses titres filiatifs et honorifiques depuis 1560.
La déclaration de 1667 porte "que la noblesse de race sera suffisamment prouvée par titres portant qualité d'écuyer ou de chevalier, depuis 1560, si rien ne montre roture antérieure," à moins de rapporter l'acte d'anoblissement.
"Louis XIV s'arrête à cette année de 1560, parce que ce fut celle des états d'Orléans, dans lesquels, sur les remontrances de la noblesse contre ces usurpations qui commençaient, Charles IX ordonna que ceux qui "usurperont faussement et contre la vérité le nom et le titre de noblesse, prendront ou porteront armoiries timbrées, seront mulctés d'amendes arbitraires et au paiement d'icelles contraints par toutes voies;" dispositions renouvelées par Henri III, à Paris, en 1576, à Poitiers en 1577, et aux états de Blois en 1579.
Il est permis de croire que la preuve légale d'une filiation antérieure à 1560 pouvait difficilement être exigée pour beaucoup de familles, puisque la tenue des registres destinés à constater l'état civil ne remonte pas au delà de 1539.
"Les lettres et titres qui justifient la noblesse sont des actes authentiques, comme contrats de mariage, baptistaires, lots et partages des successions, testaments et autres actes publics qui font mention des filiations, on y ajoute les qualités tirées des fiefs possédés de race en race et employées dans des contrats, les jugements rendus sur la condition, les inscriptions et épitaphes des lieux publics et la continuation des armes semblables.
"Quant à la preuve par témoins, Jean Baquet, avocat du roi à la chambre du trésor, dit qu'en France pour vérifier qu'un homme est noble, il suffit que les témoins déposent qu'ils ont connu son aïeul et son père, et qu'ils les ont vu vivre noblement et faire acte de nobles, sans avoir été mis à la taille, si ce n'est qu'elle fût réelle; sans qu'il soit besoin que les témoins déposent avoir vu et connu les bisaïeux, les trisaïeux et autres prédécesseurs; et qu'ils fussent estimés nobles et eussent vécu noblement.
"La loi n'a pas voulu obliger ceux qui seraient inquiétés en la possession de leur qualité de noblesse, à déduire beaucoup de degrés pour remonter jusqu'à leur origine pour deux raisons. La première, parce que Dieu a en horreur l'immortalité du nom souhaitée par les hommes... C'est pourquoi Dieu n'a jamais donné pouvoir à aucun monarque de faire remonter ses degrés de génération jusqu'à notre premier père; il s'est réservé cette prérogative comme seul digne de cette gloire. Ainsi, il y a peu d'hommes qui puissent aller au delà de cinq à six cents ans clans la recherche de leur généalogie, sans qu'il se rencontre de la confusion ou une succession interrompue.
"La seconde raison pour laquelle la loi s'est contentée d'une simple recherche pour la vérification de la noblesse, c'est que la mémoire des hommes est incertaine et qu'il arrive beaucoup d'accidents et d'infortunes, principalement aux nobles de qui la profession adonnée aux armes les porte plutôt à rechercher une mort glorieuse qu'à conserver leur propre vie."
Ces principes, généralement suivis dans les recherches de 1666-1674, servirent de base à la vérification qui fut faite en Languedoc par M. de Bezons, intendant, président d'une commission nommée parmi les magistrats de la cour des comptes, aides et finances de Montpellier. Elle était composée de MM. François de Mirmand; François de Villerase; Philippe de Bornier; Pierre de Bernard; Augustin de Solas; Henri d'Héricourt, conseiller du roi au sénéchal et présidial de Soissons; Jean Anoul; Philippe Juin, docteur en droit, procureur du roi en la commission; et Alexandre Belleguise, chargé par Sa Majesté de poursuivre la vérification des titres de noblesse.
A défaut de titre constitutif, "ceux qui prétendaient être nobles devaient justifier comme eux, leur père et leurs aïeuls avaient pris la qualité de chevalier et d'écuyer depuis 1560, et de prouver leur descendance et filiation avec possession de fiefs, emplois et services de leurs auteurs par contrats de mariage, partages, actes de tutelle, aveux et dénombrements, et autres actes authentiques, sans avoir fait ni commis aucune dérogeance, moyennant quoi ils étaient maintenus;" en sorte que, continue Belleguise, si les auteurs de ceux qui se prétendent nobles en ont pris les qualités dans les contrats authentiques depuis 1560, et ont possédé des fiefs et rendu des services, on doit présumer que leurs ancêtres étaient nobles. On n'a pas exigé en toute rigueur la preuve de la possession des fiefs et des services militaires, mais on a pris l'alternative jointe aux énonciations portées dans les actes, et pour les simples qualifications on a été si exact, que sans hésiter on a déclaré usurpateurs des titres de noblesse ceux qui ne rapportaient point d'autres preuves; et certes ce n'est pas sans beaucoup de raison, car enfin vivre noblement c'est porter les armes, servir le prince en temps de guerre, remplir les charges de capitaine, de lieutenant, d'enseigne, et faire d'autres actions d'un véritable gentilhomme. Quand, avec les preuves de cette nature, on est aidé de qualifications, on est fondé en présomption.
Les titres pour être admissibles devaient être originaux et contenir les qualifications propres à la noblesse.
Après cette vérification, les produisants qui se trouvèrent en règle furent maintenus dans leurs priviléges, tandis que les usurpateurs se virent déclarés roturiers, condamnés à une amende et réimposés aux tailles. Les familles qui ne voulurent pas courir le risque d'une condamnation firent acte de désistement.
"Ce fut alors qu'on vit venir à Montpellier bien de bonnes gens habillés de bure et labourant eux-mêmes leurs terres, qui s'en retournaient en emportant des jugements très-avantageux, tandis que d'autres couverts de plumes et de dorures étaient obligés de payer l'amende de 113 livres 15 sols et de donner leur déclaration au greffe, comme ils se départaient des qualités qu'ils avaient prises."
Les rangs de la noblesse se trouvèrent fermés pour les familles qui avaient commis quelque acte de dérogeance. Il y avait dérogeance toutes les fois que le noble se rendait coupable de quelque action indigne de son état, qu'il n'en remplissait pas les obligations, ou que sa profession était jugée incompatible avec sa qualité.
Dans la vérification de 1668 il fut jugé que les magistratures subalternes, les professions de médecin et d'avocat, ne dérogaient pas, et n'empêchaient pas de vivre noblement.
On se montra sans pitié pour les "nobles marchands," "nobles bourgeois," "nobles notaires." Un arrêt du conseil du 4 juin 1668 avait décidé que "les notaires, même avant 1560, seraient censés avoir dérogé à la noblesse et exercé une profession roturière." Les bâtards des simples gentilshommes furent déclarés roturiers malgré les lettres de légitimation du prince; depuis l'édit de 1600, ils devaient avoir obtenu des lettres d'anoblissement vérifiées dans les formes et "fondées sur quelque grande considération de leurs mérites ou de celui de leurs pères," et porter en leurs armes une barre qui les distinguât des légitimes.
L'adoption d'un roturier par un gentilhomme ne donnait pas la noblesse. Cette prétention constituait une atteinte trop évidente à la prérogative d'anoblissement réservée à l'autorité souveraine.
On commettait des actes de dérogeance par l'exercice des arts mécaniques, par l'achat des fruits de la terre pour plusieurs années, par le fermage des terres d'autrui, par la possession d'un bien noble qui avait payé la taille pendant trente années.
Par une déclaration du roi, du 8 octobre 1729, les instances indécises au sujet des usurpateurs de noblesse furent renvoyées aux cours des aides, dans le ressort desquelles les parties intéressées avaient leur domicile. En Languedoc, quelques familles inquiétées par les commissaires des francs-fiefs se pourvurent devant l'intendant de la province, produisirent leurs titres de noblesse, et obtinrent des ordonnances de maintenue de MM. Lamoignon, Le Nain, Bernage, Saint-Priest. On les trouvera à la suite des jugements de M. de Bezons.
"Dans la recherche de noblesse faite en France en 1666, il a été trouvé environ 2,084 familles nobles en Bretagne; 1,322 dans la généralité d'Alençon; 514 dans celle de Champagne; 1,627 dans celle de Languedoc; 766 dans la généralité de Limoges; 693 dans celle de Touraine, Anjou et Maine: dont un vingtième à peine, ajoute Chérin, pouvait prétendre à la noblesse immémoriale et d'ancienne race."
A la fin du règne de Louis XIV le Languedoc comprenait vingt diocèses, dont deux archevêchés renfermant ensemble 342,738 familles qui représentaient une population de 1,566,038 habitants. Le corps de la noblesse se composait de 4,536 gentilshommes répartis sur deux duchés, 55 marquisats, 17 comtés, 22 vicomtés, 383 baronies, 1,700 justices, dont 400 appartenaient au roi, et 3,263 fiefs.

V
NOBLESSE MILITAIRE.

La noblesse est essentiellement militaire par son origine, et quoique l'art militaire ne soit pas le plus utile de tous les arts, la profession des armes a cependant été considérée de tout temps comme la plus noble, parce qu'elle commandait seule entre toutes une abnégation plus grande, un dévouement plus immédiat au pays et au prince; et les qualifications de chevalier et d'écuyer font voir que c'est au milieu des camps et des armes que la noblesse française a pris naissance; c'est pour elle que les ordres de chevalerie et les décorations ont été créés.
"En Languedoc la principale fonction de la noblesse, dit Vaissette, consistait dans l'exercice des armes, qu'elle alliait comme les anciens Romains avec les fonctions judiciaires."
Sans remonter à ces migrations guerrières qui portèrent, bien avant l'ère chrétienne, le nom et la gloire des Gaulois Tectosages dans la Germanie, la Pannonie, l'Illyrie, la Grèce et la Thrace, nous voyons cette noblesse toujours en armes, depuis les croisades jusqu'aux dernières luttes du fanatisme religieux au commencement du dix-huitième siècle.
En 1098, elle formait un tiers de cette armée de cent mille hommes composée de Goths, d'Aquitains et de Provençaux, qui prit une part si glorieuse à la première croisade, commandée par Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, Guillaume de Montpellier, Adhémar de Monteil, Eustache d'Agrain, Raimbaud d'Orange, Raymond Pelet et Guillaume d'Albret.
Quelques années plus tard, une nouvelle légion grossit les rangs des vainqueurs de Nicée et d'Ascalon, sous les ordres de Bernard Aton, vicomte d'Alby, d'Agde, de Béziers et de Nîmes; de Guillaume-Jourdain, comte de Cerdagne; de Guillaume, comte de Poitiers, duc d'Aquitaine et beau-frère de Raymond comte de Toulouse.
En 1109, plus de quatre mille chevaliers languedociens s'embarquent pour la terre sainte au port de Bouc, avec Bertrand, comte de Toulouse, fils de Raymond; Raymond, comte de Melgueil et de Substantion, son cousin germain; Bérenger de Fougères et Raymond de Castelnau. Bertrand avait laissé le gouvernement de Languedoc à son frère Alphonse-Jourdain qui le suivit bientôt à la tête de ses vassaux en 1148. Alphonse-Jourdain fut le quatrième comte de Toulouse qui mourut à la terre sainte, et de ces quatre, ajoute dom Vaissette, il fut le troisième qui, à l'exemple de Raymond et de Bertrand son frère, se croisa contre les infidèles. La maison de Toulouse eut aussi la gloire de donner, en la personne des comtes de Tripoli, plusieurs autres héros qui se rendirent également célèbres en Orient.
Dans l'intervalle qui sépare la première de la seconde croisade, la noblesse de Béziers, de Nîmes, de Maguelonne et de toute la province, ralliée autour de Dalmace de Castries, de Raymond de Baux, de Bérenger de la Vérune, du vicomte de Narbonne, et de Guillaume de Montpellier qui s'était distingué dans la première croisade, se signale dans la guerre contre les Maures et les Sarrasins, maîtres des îles Baléares d'où ils infestaient les côtes de la Méditerranée.
Au milieu du onzième siècle, la guerre d'Alphonse VIII, roi de Castille, entreprise contre les infidèles d'Espagne, partage la noblesse de la province entre cette expédition et celle de la terre sainte.
Le mariage d'Henri II, roi d'Angleterre, avec Eléonore de Guienne, répudiée par Louis le Jeune, avait fait revivre les prétentions de l'héritière des comtes de Poitiers sur le comté de Toulouse. En 1159, la noblesse de Languedoc, restée fidèle à ses princes et commandée par le roi Louis le Jeune, se jette dans Toulouse, et force Henri II et le comte de Barcelone son allié à lever le siége de cette ville. "Après y avoir dépensé des sommes immenses, s'être donné des mouvements infinis et y avoir perdu une partie de ses troupes et plusieurs seigneurs de marque, entre autres Guillaume, comte de Bologne, fils d'Étienne, roi d'Angleterre, et Aymon, fils du comte de Glocester, Henri II se vit obligé de décamper tant à cause de la saison avancée que de la vigoureuse défense des assiégés."
Le Rouergue faisait alors partie du comté de Toulouse; les Anglais, chassés du haut Languedoc, cherchent à envahir cette province. Les compagnons de Louis le Jeune et de Raymond de Toulouse, ralliés autour de Pierre, évêque de Rodez et du comte Hugues, surnommé le Père de la patrie, les repoussent une seconde fois, 1164; et disputent avec moins de succès, quelques années après (1166), l'entrée de la Provence à Alphonse d'Aragon, qui prétendait en avoir reçu l'inféodation de l'empereur Frédéric II, à la mort de Raymond-Bérenger, son cousin germain.
Ces guerres privées, qui n'étaient que le prélude des luttes terribles et cependant héroïques de la guerre des Albigeois, éprouvèrent un temps d'arrêt pendant la croisade de Philippe Auguste. La noblesse de Languedoc prit part à cette expédition sous les ordres de Raymond-Roger, comte de Foix, d'Arnaud-Raymond d'Aspel et de Pons, vicomte de Polignac.
Après la guerre des Albigeois, les expéditions de la terre sainte reprennent leur cours. Trencavel, vicomte de Béziers, et Olivier de Termes, "l'un des plus hardis hommes qu'oncques je cogneusse en terre sainte," dit Joinville, suivaient l'étendard de saint Louis et de son frère Alphonse, en 1247, en 1252, en 1270, avec un grand nombre de barons, de chevaliers et de bourgeois.
En 1318, nous retrouvons en Flandre, avec Philippe le Bel, la noblesse de Languedoc réunie sous le commandement du vicomte de Polignac, de Bertrand de la Rodde, du sire de Chalançon et du seigneur de Saint-Didier.
Depuis la réunion du comté de Toulouse à la couronne (1270) jusqu'à la fin du quatorzième siècle, la noblesse eut à supporter le poids de la guerre entre la France et l'Angleterre dans la Guienne, par le secours d'hommes et d'argent qu'elle ne cessa de fournir à nos rois.
En 1356, elle entoure le roi Jean dans cette fatale bataille de Poitiers qui ouvrit à la France un siècle de malheurs. Les plus grands noms de la chevalerie paraissent dans la nomenclature des morts et des captifs: l'histoire a gardé le souvenir de ceux du comte de Ventadour, du vicomte de Narbonne, et du seigneur de Montfrin, qui commandaient la noblesse languedocienne, et qui voulurent suivre le roi Jean dans sa captivité.
L'amour pour le prince succédant à la première douleur, on ne parla que de sa délivrance, et nos dames, dit l'historien de Montpellier, voyant qu'on voulait établir une contribution générale, offrirent de leur chef leurs bagues et leurs bijoux pour grossir la somme qu'on devait y employer. Pons Blegeri, docteur ès lois, et Étienne Rozier, bourgeois de la ville, furent députés de la communauté auprès du roi, qui leur donna des lettres patentes où il rend témoignage de la bonne affection de ses sujets de Montpellier.
La France entière était en armes et la sédition partout. Tandis que les états généraux convoqués à Paris par un roi de vingt ans, et gagnés par les intrigues secrètes du roi de Navarre, du duc d'Orléans et d'Étienne Marcel, voulaient gouverner sous son nom, en lui "baillant certains conseillers qui auroient puissance de tout faire et ordonner au royaume," les états de Languedoc s'assemblaient à Toulouse, et donnaient un meilleur exemple de liberté: ils ordonnaient une levée d'armes pour la délivrance du roi Jean, et votaient, une année après, le tiers de la rançon du roi de France. "C'était un contraste avec l'intrigue qui s'agitait dans les états généraux, et cette différence de patriotisme mérite d'être notée dans l'histoire."
Cette manifestation isolée ne ramena pas le roi Jean dans son royaume; mais l'armée levée en 1360, et commandée par Bertrand d'Espagne, par le connétable du Guesclin, par le maréchal d'Andeneham, par Pierre de Voisins, délivra pour un temps le midi de la France des grandes compagnies, et chassa définitivement les Anglais du Languedoc.
"Charles VII, dit Vaissette, fut en quelque manière redevable de la couronne, soit aux secours annuels, soit aux services que la noblesse et les autres milices de la province lui rendirent dans ses guerres, surtout en Guienne, d'où il eut le bonheur de chasser entièrement les Anglais."
Avec Charles VII et l'établissement des armées permanentes, la noblesse illustrée par ces luttes héroïques, mais dont les rangs s'étaient éclaircis, et qui, selon l'expression pittoresque d'un historien moderne, "avait semé l'Europe et l'Asie de cadavres blasonnés," perdit le privilége à peu près exclusif du service militaire qu'elle avait conservé jusqu'au milieu du quatorzième siècle.
"Il n'y eut plus obligation aux seigneurs et gentilshommes fieffés d'amener leurs vassaux à la guerre; ils ne furent obligés, dit le P. Daniel, qu'à servir dans l'arrière-ban à peu près comme aujourd'hui."
La réunion de la noblesse et des milices communales, qu'on désignait sous le nom de ban, arrière-ban, et chevauchée, formèrent alors une armée nationale, qui répondait à l'appel du roi; elle était placée sous les ordres du connétable et des sénéchaux, prévôts et baillis.
Charles VII qui avait formé les premières troupes de cavalerie appelées gens d'armes, et compagnies d'ordonnance (1439), institua la première infanterie régulière (1445), en imposant à chaque paroisse l'équipement et l'entretien d'un archer qui prit le nom de franc-archer, tous les paysans qui en faisaient partie étaient exempts d'impôts et devaient répondre au premier appel. "Leurs descendants, par une suite et une conséquence des priviléges attribués à la profession des armes, se sont prétendus nobles et ont formé la noblesse archère."
L'esprit militaire ne pouvait se former et s'entretenir dans cet isolement; Louis XI supprima les francs-archers, et les remplaça par les archers écossais de la garde du roi, qui formèrent les premiers gardes du corps, et par les compagnies suisses, qui servirent de modèle à notre infanterie.
Au commencement de nos guerres d'Italie, le service militaire de France était fait par le ban de la noblesse; qui servait dans les gendarmes, les chevau-légers, les dragons, les carabins et les gardes du roi; par les compagnies mercenaires venues de Suisse; par les reîtres ou lansquenets (land-knecht, défenseur du pays), venus d'Allemagne; et par les légions provinciales instituées par François Ier en 1534.
Les légions provinciales formaient sept corps de six mille hommes chacun, fournis par les provinces de Bretagne, de Normandie, de Picardie, de Bourgogne, de Champagne et de Nivernais, de Dauphiné, Provence et Lyonnais, de Languedoc et de Guienne. Chaque légion était composée d'un colonel et de six capitaines qui commandaient chacun mille hommes, et avaient sous leurs ordres des lieutenants et des sergents d'armes.
Plus tard, ces légions provinciales furent transformées en régiments d'infanterie et de cavalerie, qui prirent le nom de la province où ils se recrutaient de préférence. Le commandement en était réservé à la noblesse du pays.
L'histoire militaire de la noblesse de Languedoc, comme celle des autres provinces, se confond, à partir du seizième siècle, avec celle des légions provinciales. Nobles et bourgeois, nous les voyons groupés autour du maréchal d'Annebaut et du sire de Montpezat en 1541, pour la conquête du Roussillon; autour du vicomte de Joyeuse, des comtes de Clermont et d'Aubijoux, pour protéger nos frontières méridionales contre les Espagnols en 1561; et partagés pendant nos guerres de religion entre les lieutenants du roi, Joyeuse, Villars, Crussol, Montmorency, et les chefs politiques des religionnaires, qui obéissaient aux ordres du prince de Condé, de l'amiral de Coligny, des ducs de Biron et de Rohan.
Pendant plus d'un siècle la guerre civile fit couler en Languedoc plus de ruisseaux de sang que dans tout le reste du royaume; luttes stériles qui couvrirent notre malheureux pays de ruines et de deuil, autorisèrent des représailles terribles, des punitions exemplaires, surtout à l'égard de la noblesse, dont la majeure partie se vit privée de ses biens, et qui préparèrent ainsi le despotisme de Richelieu et la dictature militaire de Louis XIV.
Dans ses cahiers présentés aux états généraux de 1614, la noblesse de Languedoc accusait déjà l'étendue de ses pertes.
"Lorsqu'il écherra de confiscation des biens nobles qui relèveront du roi, la moitié des biens sera conservée aux enfants, si ce n'est aux crimes de lèse-majesté...
"Qu'il plaise au roi accorder à la noblesse le rachat de ses biens vendus depuis quarante années, en remboursant les acquéreurs du prix de leur acquisition, des frais et loyaux coûts et réparations nécessaires qu'ils y auroient faites...
"Qu'attendu la perte que les gentilshommes ont faite de leurs titres pendant les troubles, ils soient maintenus en la jouissance des droits desquels ils feront apparoir jouissance devant les juges, de quarante années sans interruption."
La seule révolte de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, occasionna la ruine de plus de cent familles de la principale noblesse. Le roi, qui était à Montpellier en 1632, ordonna la démolition d'un grand nombre de places dans le bas Languedoc; de ce nombre furent les châteaux ou citadelles de Beaucaire, de Pézénas, de Brescou, de Béziers, de Cette, de Lunel, et autres dans les Cévennes, dans le Vivarais, dans le Gévaudan et dans le Velay, où M. de Machault, maître des requêtes, assisté du marquis de Tavannes, maréchal de camp, firent de grandes exécutions.
"Les terres de ceux qui en souffrirent le plus furent celles du comte de Bieules, du comte de Rieux, tué à la journée de Castelnaudary; de Saint-Amant, gendre du marquis de Malauzé; du Luc, autrement Saint-Geniez, ci-devant gouverneur de Narbonne; de Marsillac, lieutenant des gendarmes du duc de Ventadour; d'Alzau, retiré en Espagne; du baron de Lehan en Foix; du Cros; de Chantereuges; de Saint-Laurent; de Condres; du vicomte de Chailard; de Saint-Amans; de la Roque de Gasques, et de Saint-Haon. On mit garnison dans le château de Peyre en attendant des ordres plus précis du roi. Ceux qui n'avaient point de maison furent suppliciés en effigie et leurs biens confisqués. L'entrée des états fut interdite à ceux des barons qui en avaient abusé et leur baronie donnée à d'autres; les officiers de judicature perdirent leur charge, et M. de Machault se rendit si célèbre dans la province qu'il y conserva le surnom de coupe-tête." Le seigneur de Peraut, qui était dans la révolte avec son frère l'évêque d'Uzès, perdit la charge de sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, dont il avait été gratifié deux ans auparavant; Jacques de Restinclières, de la maison de Bermond-Thoiras, qui était également dans la révolte avec son frère Claude de Thoiras, évêque de Nîmes, fut remplacé dans la charge de sénéchal de Montpellier par le marquis de Fossez.
Quoique, depuis cette époque, notre province semble traitée en pays conquis, et que les emplois les plus distingués de la maison du roi soient donnés aux gentilshommes attachés à la cour de Versailles, ou nés dans le centre et le nord de la France, cette injustice ne découragea pas la noblesse de Languedoc, et nous la retrouvons, avec son courage et sa bravoure ordinaires, au siége de Leucate en 1637 contre les Espagnols, commandée par le duc d'Halwin, qui fut fait maréchal de France à trente et un ans, au titre de maréchal de Schomberg. "Mon cousin, lui écrivait Louis XIII à cette occasion, vous avez su vous servir si à propos de votre épée que je vous envoie un bâton, afin qu'une autre fois vous ayez à choisir les armes dont vous voudrez vous servir contre mes ennemis."
Quelques années plus tard, elle se couvrit de gloire au siége de Perpignan avec le maréchal de Schomberg et le maréchal de la Meilleraye en 1642; à Girone avec les deux Cambis 1653; au siége de Salces et de Saint-Jean de Pagez 1674, sur les frontières du Roussillon, avec l'autre maréchal de Schomberg, de la maison de Clèves, et le marquis de Castries qui commandait les milices de Languedoc; au siége de Mayence pendant la guerre du Palatinat en 1689, avec le marquis de Castries; en Catalogne avec le maréchal de Noailles 1694; au siége de Barcelone 1714, avec le duc de Berwick qui venait de chasser les miquelets et les Catalans du Roussillon; et plus tard encore, en 1759, avec le marquis de Montcalm, le marquis de Vaudreuil et le chevalier de Lévis, sous les murs de Québec. Cette même année le Languedoc comptait deux maréchaux de France, plus de vingt lieutenants généraux, et autant de maréchaux de camp en activité de service. Pendant les guerres du règne de Louis XV, sur le Rhin et en Allemagne, à Rosbach, à Lawfeld, à Raucoux, à Fontenoy, des familles entières sorties de cette province ont glorieusement et à la même heure terminé leurs destinées sur le champ de bataille. Quatre années avant la révolution, la généralité de Toulouse pouvait revendiquer à elle seule deux cent quatre-vingt-dix-sept officiers, soit en activité ou en retraite, et dans le nombre plusieurs lieutenants généraux, maréchaux de camp, brigadiers, colonels et lieutenants-colonels. C'était plus que n'en ont fourni les guerres de l'empire, en ce temps où la nation ne formait pour ainsi dire qu'une armée.
Henri III, par un édit de 1583, avait décidé que "dix années consécutives de services militaires suffisaient pour faire jouir les non nobles, des exemptions réservées aux nobles." Mais cela ne devait s'entendre que de l'exemption des tailles, privilége conservé de tout temps aux capitaines qui n'avaient ni le titre d'écuyer, ni l'exemption du droit de franc-fief.
Par son édit de 1600, Henri IV déclara "que la licence et la corruption des temps ont été cause que plusieurs, sous prétexte qu'ils ont porté les armes durant les troubles, ont usurpé le nom de gentilhomme pour s'exempter induement de la contribution des tailles," et leur fit défense "de prendre le titre d'écuyer et de s'insinuer au corps de la noblesse, sinon entre autres à ceux qui sont issus d'aïeul et père qui ont fait profession d'armes."
Trois générations de services militaires y compris celle de l'inquiété, qui donnaient une possession d'état de noblesse de cent années, conféraient la noblesse à celui qui avait vingt années de services personnels. Ces principes furent consacrés par divers arrêts, et notamment, lors de la recherche des usurpateurs de noblesse, par deux jugements des commissaires au profit des descendants de deux capitaines.
La noblesse militaire reçut son organisation régulière et définitive sous Louis XV, qui, par son édit de 1750, exigea trois degrés au lieu de deux, trente ans de services et l'obtention de la croix de Saint-Louis pendant trois générations, pour conférer la noblesse transmissible.
"L'intention de Sa Majesté, disait l'ordonnance interprétative de 1752, a été que la profession des armes pût anoblir de droit à l'avenir ceux des officiers qui auroient rempli les conditions qui y sont prescrites, sans qu'ils eussent besoin de recourir aux formalités des lettres particulières d'anoblissement. Elle a cru devoir épargner à des officiers parvenus aux premiers grades de la guerre et qui ont toujours vécu avec distinction, les peines d'avouer un défaut de naissance souvent ignoré; et il lui a paru juste que les services de plusieurs générations dans une profession aussi noble que celle des armes pussent par eux-mêmes conférer la noblesse."
Les officiers généraux acquéraient la noblesse pour eux et leurs descendants en légitime mariage, du jour de leur brevet de maréchal de camp. Les autres officiers, en descendant jusqu'au grade de capitaine, devaient fournir la preuve de trois générations de services militaires, par la représentation des commissions et des brevets de l'ordre de Saint-Louis, et obtenir des lettres d'approbation de service. Beaucoup de familles n'avaient pas d'autres titres pour figurer dans les assemblées de la noblesse en 1789.
La faveur de nos rois pour la noblesse militaire ne s'arrêta pas là. Le grade d'officier dans l'armée de terre, ou celui d'aspirant garde de la marine, était conféré aux gentilshommes qui pouvaient fournir la preuve de quatre degrés de noblesse paternelle devant les généalogistes du roi; des écoles furent ouvertes aux jeunes gentilshommes, fils d'officiers qui avaient péri au service, ou qui n'avaient pas de ressources suffisantes pour assurer l'avenir de leurs enfants: l'École royale militaire; l'École de Brienne, l'École de la Flèche, le Collége des Quatre-Nations; les Compagnies de cadets-gentilshommes; l'École de Saumur; avec des succursales ou écoles préparatoires dans les colléges de province, tels qu'à Auxerre, Beaumont, Dole, Effiat, Pont-à-Mousson, Sorrèze, Tournon, Vendôme, etc. Les filles d'officiers qui avaient fait leurs preuves étaient élevées à la maison de Saint-Cyr, à la maison royale de l'Enfant-Jésus, et dans des maisons particulières fondées à Rennes, à Lyon, à Nancy, etc.
Sous l'empire, il n'existait pas à proprement parler de noblesse militaire; les grands dignitaires seuls, parmi lesquels on comptait le grand connétable, le grand amiral et le vice-connétable, portaient, en vertu de leurs fonctions, le titre de prince et d'altesse sérénissime, et leurs fils celui de duc, comte et baron, après institution de majorat. Le titre de chevalier était commun à tous les membres de la Légion d'honneur, militaires ou non, et pouvait se transmettre à la descendance après institution de majorat d'un revenu de 3,000 fr.
L'art. 13 du décret du 1er mars 1808, qui accordait des titres personnels à la plupart des fonctionnaires de l'ordre civil, avait réservé à l'empereur le droit d'accorder les titres qu'il jugerait convenables "aux généraux et officiers militaires qui se distingueraient par les services rendus à l'État."
La maison de Saint-Denis et les succursales d'Écouen et de Saint-Germain donnent aujourd'hui l'éducation gratuite à plus de neuf cents filles des membres de la Légion d'honneur sans fortune.
L'école de la Flèche est une école préparatoire pour les fils d'officiers sans fortune ou morts sur le champ de bataille.
Le gouvernement actuel n'a encore usé de sa prérogative souveraine d'anoblissement que pour consacrer le souvenir des deux plus beaux faits d'armes des deux dernières guerres: la prise de la tour Malakoff et la bataille de Magenta.

VI
LE LANGUEDOC ET SA CONSTITUTION POLITIQUE.

Le Languedoc formait sous notre ancienne monarchie une des provinces les plus considérables du royaume, qui, selon l'expression de M. de Basville, "fournissait le plus aux coffres du roi." Il comprenait d'abord toute la zone méditerranéenne conquise par les Goths; il est même permis de croire qu'il a tiré son nom de cette longue occupation (land von goth, terre des Goths).
Ses frontières s'étendirent alors depuis les Alpes jusqu'aux Pyrénées, et de la Méditerranée jusqu'à l'Auvergne et à la Gironde, embrassant ainsi le Rouergue, une grande portion de la Guienne, le Quercy, le Périgord, l'Agénois et le Bigorre. Il passa successivement sous la domination des Romains, des Goths, des Sarrazins et des Francs, qui en formèrent un royaume séparé sous le nom d'Aquitaine, jusqu'au partage de sa suzeraineté entre les ducs de Provence, les comtes de Toulouse et les marquis de Gothie.
Ces trois titres furent un moment réunis au onzième siècle (1090), sur la tête du fameux Raymond de Saint-Gilles, qui le premier se qualifia "duc de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence."
Les comtés de Carcassonne, de Melgueil et de Foix, les vicomtés de Narbonne, d'Uzès, de Béziers, d'Agde, et de Nîmes, reconnurent alors la suzeraineté des comtes de Toulouse.
Ces comtes déjà en possession de l'Albigeois et du Velay, depuis 963, réunirent encore le Gévaudan à leurs états par le mariage du comte Alphonse Ier avec Féidide, fille de Gilbert Ier, comte de Provence et de Tiburge, comtesse de Gévaudan.
Le Vivarais, dont les comtes de Toulouse s'étaient mis en possession depuis 1083, fut affecté au douaire d'Électe, femme de Bertrand, comte de Toulouse, en 1115, et définitivement incorporé au Languedoc, malgré les prétentions de souveraineté des évêques de Viviers et leurs hommages à l'empereur d'Allemagne.
La cession faite par l'héritier de Simon de Montfort à Louis VIII des terres conquises en Languedoc, ou qui lui avaient été attribuées dans le concile des évêques réuni, en 1214, à Montpellier, diminua considérablement le patrimoine des comtes de Toulouse.
Raymond VII, héritier de la comté, ne laissa qu'une fille, Jeanne, mariée à Alphonse, comte de Poitiers, frère de Saint-Louis, qui mourut sans enfants. Le Languedoc fut alors réuni à la couronne (1270), au préjudice d'une branche cadette de la famille comtale qui avait suivi le parti de Simon de Montfort. Cette réunion eut lieu avec l'assentiment des états généraux de la province, mais sous la réserve de ses priviléges et anciens usages constamment respectés par nos rois.
Ils conservèrent la liberté de tenir des assemblées dans chaque sénéchaussée pour délibérer sur l'établissement et la perception des impôts, et sur les affaires communes du pays.
A ces assemblées particulières succéda, en 1274, l'assemblée générale des trois ordres de la province tenue régulièrement tous les ans jusqu'en 1789.
Nous avons dit qu'après la ruine de l'empire carolingien, l'ordre féodal se concentra dans l'autorité des grands feudataires. Il n'y eut plus que des gouvernements et des intérêts locaux, et dès lors les assemblées générales devenaient impossibles ou n'étaient plus convoquées qu'à de longs intervalles.
Auprès de chaque seigneur féodal se réunissaient les pairs du fief qui s'occupaient de questions politiques, financières et judiciaires; c'est l'origine des états provinciaux.
Les traditions historiques des états de Languedoc semblent indiquer cependant une origine plus ancienne.
"Cette province était une des sept de la Gaule qui jouissaient du droit italique, c'est-à-dire de l'exemption des tributs, et dont l'usage était de s'assembler tous les cinq, dix et vingt ans, pour offrir par leurs députés le voeu qu'elles faisaient pour la conservation de l'empire et la santé des empereurs, accompagné des sommes qu'elles contribuaient volontairement pour les dépenses publiques. Cet usage se maintint sous le gouvernement des Goths et sous celui des comtes, dans la même possession où nos rois l'ont confirmée.
"Ce qui est dit jusqu'ici par présomption se confirme par les titres. Raymond VII déclara par son testament que les sommes qu'il avait reçues des habitants de Toulouse et de ses autres sujets, étaient des concessions volontaires qu'ils lui avaient faites sans y être obligés. Alphonse, frère de Saint-Louis et le dernier des comtes, reconnut par ses lettres données à Aimargues, en juin 1270, que ce qui lui avait été donné par ses sujets pour faire le voyage de terre sainte n'était qu'une subvention gratuite qui ne pouvait tirer à conséquence pour les obliger à l'avenir d'en faire de semblables."
Par les lettres patentes renouvelées chaque année, le roi chargeait ses commissaires de requérir les états de "lui vouloir libéralement accorder et octroyer les sommes contenues ès-dites commissions, pour subvenir aux dépenses qu'il avait à supporter pour la conservation et manutention de l'État."
On délibérait sur cette demande le premier jour de la session; les autres séances étaient consacrées aux intérêts particuliers et aux besoins nationaux de la province." On retrouve là le véritable et l'unique principe de l'établissement des impositions en Languedoc, qui est la demande directe du roi aux états de la province, par l'organe de ses commissaires, et l'octroi ou le consentement volontaire des états sans nulle autre autorité intermédiaire."
L'engagement solennel du roi de ne permettre aucune contribution ou levée de deniers dans la province, sans le libre consentement de ses représentants, imposait à ceux-ci le devoir d'en surveiller la perception et l'administration particulière, et "ils n'hésitèrent jamais à payer très-cher le droit de les lever à leur manière et par leurs seuls agents."
Le recouvrement des impôts ne pouvait avoir lieu que sur la remise des rôles faite au greffe de l'intendance par le secrétaire des états ou le syndic de la province.
Il fut d'abord en usage de convoquer les états par sénéchaussées, où les évêques, les abbés, les nobles et les consuls des villes étaient invités et avaient droit d'assister sans exception.
"Dans les premiers temps, tous les nobles de Languedoc étaient admis aux états de cette province, conformément au droit qu'en exerce encore la noblesse de Bretagne. Si postérieurement ils n'y assistèrent pas en corps, du moins il est certain que les députés qui devaient les y représenter étaient toujours choisis dans chaque diocèse par la noblesse elle-même. Pour le clergé, on y recevait non-seulement les archevêques ou évêques, mais encore les députés des abbayes et des églises cathédrales, et deux ecclésiastiques délégués par chaque diocèse; enfin toutes les villes ou bourgs qui avaient plus de trois cents feux y envoyaient chacun deux bourgeois pour le tiers état. Par là les trois ordres étaient véritablement représentés, et les délibérations des états n'étaient que l'expression des voeux de toute la province (3)."
Dans la suite, et depuis 1000, cette représentation fut réduite aux évêques de chaque diocèse, pour le clergé; à un nombre égal de barons pris parmi les possesseurs des premières baronies pour la noblesse, et aux consuls des principales villes en nombre égal à celui des deux ordres réunis pour le tiers état. La noblesse y assistait avec l'épée, ceux du tiers état en robe longue et bonnet carré; chacun des membres était inviolable pendant la session des états; les délibérations avaient lieu par tête et non par ordre.
Le clergé était représenté par les archevêques de Narbonne, de Toulouse et d'Alby; les évêques de Saint-Pons, dé Carcassonne, d'Uzès, de Nîmes, de Mirepoix, de Saint-Papoul, du Puy, de Béziers, de Rieux, de Viviers, de Lodève, de Castres, d'Alais, d'Agde, de Montauban, d'Alet, de Comminges, de Lavaur, de Mende et de Montpellier.
Les baronies du Vivarais qui donnaient une entrée par tour aux états généraux de Languedoc étaient celles de Tournon, de la Voulte, d'Annonay, de Largentière, d'Aps, de Crussol, de Joyeuse, de Saint-Rémézy, de Boulogne, de Brisson, de Privas, de Chalancon et la Tourette. Les baronies de Gévaudan qui conféraient la même prérogative étaient celles de Mercoeur, de Canillac, de Tournel, de Châteauneuf-Randon, de Peyre, d'Apchier, de Sénaret, et de Florac.
Dix-neuf barons y siégeaient annuellement; c'étaient les possesseurs des baronies d'Avéjan, d'Ambres, de Barjac, de Bram, de Caylus, de Calvisson, de Castelnau de Bonnefonds, de Castelnau d'Estrettefonds, de Castries, de Florensac, de Ganges, de la Gardiole, de Lanta, de Mérinville, de Mirepoix, de Murviel, de Saint-Félix, de Tornac, de Villeneuve.
Ce droit se transférait quelquefois sur une autre terre de valeur équivalente, avec l'autorisation du roi, comme l'avait obtenu le marquis de Vogué en 1713 pour la terre de Vogué; le comte de Rochechouart en 1760 pour celle d'Aureville; le marquis d'Urre en 1786 pour celle de Capendu; le marquis de la Tourette en 1735 pour celle de la Tourette, etc.
Le tiers état, comme nous l'avons dit, avait un nombre de représentants égal à celui du clergé et de la noblesse réunis, et pris parmi les consuls des villes épiscopales, et de cent vingt-huit autres communautés moins importantes.
La présidence appartenait de droit à l'archevêque de Narbonne, dont le siége archiépiscopal était le plus ancien des Gaules; les premières places, au comte d'Alais; au vicomte de Polignac, qui était le représentant-né de la noblesse du Velay; au baron de tour du Vivarais et à celui de Gévaudan.
Les conditions d'entrée et de préséance aux états généraux de la province avaient été réglées en 1519.
"Il fut décidé par édit perpétuel et irrévocable que l'ordre des dignités serait gardé selon la disposition du droit commun, en sorte que les comtes précéderaient les vicomtes, et les vicomtes les barons; que parmi ces derniers les barons de tour du Vivarais et de Gévaudan, qui venaient au tour des autres barons du pays, précéderaient les autres barons de Languedoc; qu'enfin ces derniers siégeraient comme ils viendraient, sans garder aucun ordre de préséance, pour éviter confusion."
Les barons qui ne pouvaient assister à la tenue des états donnaient leur procuration à des gentilshommes de leur qualité ou à des docteurs qualifiés, gradués en quelque université fameuse; mais depuis 1555, et en conséquence d'un édit de François Ier de mars 1532, confirmé par Henri II en mai 1537, les barons ne pouvaient se faire représenter que "par des gentilshommes d'ancienne race et extraction, et non plus par des docteurs et nobles de robe longue."
En 1654 il fut arrêté, par une délibération commune, que tout baron ou procureur de baron ne serait reçu aux états qu'après la preuve de noblesse de quatre races paternelles et maternelles; ainsi l'entrée aux états, dignité réelle et personnelle, dépendait à la fois de la possession de la terre qui conférait la dignité, et de la naissance qui en permettait l'exercice.
"Mérinville, dont le père était seul lieutenant général de Provence, et qui fut chevalier de l'ordre du roi en 1661, avait été forcé par la ruine de ses affaires de vendre à Samuel Bernard, le plus fameux et le plus riche banquier de l'Europe, sa terre de Rieux, qui est une baronie des états de Languedoc. Ces états ne voulurent pas souffrir que Bernard prît aucune séance dans leur assemblée, comme n'étant pas noble lui-même et incapable par conséquent de jouir du droit de la terre qu'il avait acquise. Sur cela Mérinville prétendit demeurer baron des états de Languedoc, sans terre, comme étant une dignité personnelle. Il fut jugé qu'elle était réelle, attachée à sa terre, et Mérinville évincé avec elle de la qualité de baron, de tout droit de séance, et d'en exercer aucune fonction, sans que pour cela l'incapacité personnelle de l'acquéreur fût relevée. Son fils vient enfin de la racheter, malgré les enfants de Bernard qui ont été condamnés par arrêt de la lui rendre pour le prix consigné."
Ces preuves étaient encore plus rigoureuses à la veille de la révolution française. On ne pouvait être reçu baron des états qu'après avoir fait preuve de noblesse du côté paternel depuis 1400; la preuve du côté maternel était réduite à un seul degré, et les envoyés ou porteurs de procuration devaient "joindre à la qualification de noble, prise par six générations du côté paternel, ou par cinq si elles remplissaient l'espace de deux cents ans, le titre constitutif ou de maintenue." La possession de noblesse devait en outre se trouver établie par deux actes au moins sur chaque degré produit en original, ou par des expéditions collationnées par le notaire qui les avait reçus, ou par le détenteur de ses notes.
L'assemblée des états, longtemps ambulatoire à Carcassonne, à Toulouse, à Béziers, à Narbonne, à Montpellier, à Beaucaire, au Puy, se tenait depuis 1736 à Montpellier. L'ouverture se faisait à la fin d'octobre ou de novembre, et la session durait quarante jours. Les députés se réunissaient en vertu d'une ordonnance et sur une lettre de convocation du roi.
La tenue de leurs séances offrait un aspect à la fois simple et majestueux. Des bancs étaient élevés dans la salle et en garnissaient les trois faces principales. Au milieu de l'une d'elles, sur une estrade, paraissait un fauteuil richement décoré et surmonté d'un dais assorti d'un dossier de velours bleu et surmonté de broderies et de franges d'or. C'était le siége de l'archevêque de Narbonne, président-né des états. Les évêques étaient assis à sa droite, les barons à sa gauche. Les vicaires des évêques absents et les envoyés des barons siégeaient de part et d'autre immédiatement après les prélats et les barons présents.
Au-dessous des trois bancs que nous venons d'indiquer, il en régnait trois autres élevés de deux pieds. C'était là que se plaçaient les députés de toutes les villes épiscopales, à l'exception des cinq premières, dont les députés avaient un banc à dossier qui formait le carré. Un capitoul en charge et un ancien capitoul que la ville de Toulouse députait avec lui, occupaient le centre vis-à-vis le président des états, et de part et d'autre dans le même banc étaient les députés des villes de Montpellier, de Carcassonne, de Nîmes et de Narbonne. Derrière ce banc il y en avait cinq autres sans dossiers pour les députés diocésains, qui prenaient place chacun selon le rang du diocèse qu'il représentait. Au bas du fauteuil du président, une grande table couverte d'un tapis de velours bien brodé en or, aux armes de la province, était destinée aux officiers des états; les greffiers et le trésorier avaient cette table devant eux; les syndics généraux s'asseyaient aux deux bouts.
Un usage antique assurait aux états de Languedoc le privilége de porter au pied du trône leurs réclamations et leurs voeux.
Après la session, les ambassadeurs nommés par les états allaient offrir au roi le don gratuit et les hommages du pays de Languedoc. L'ambassade était composée d'un évêque, d'un baron, de deux députés du tiers état et d'un syndic général. Ces représentants d'une province libre étaient conduits à l'audience par le grand maître des cérémonies, qui allait les chercher dans la salle des ambassadeurs. Les députés étaient présentés au roi par le gouverneur du Languedoc et par le secrétaire du département. Sa Majesté les recevait assise sur son fauteuil, entourée des princes et des grands de la cour, leur répondait en ôtant son chapeau à chacune des trois salutations qu'ils lui faisaient en entrant et en sortant. C'était l'évêque qui portait la parole. Le syndic général tenait le cahier des doléances et des demandes du pays. Le roi le recevait des mains de l'évêque et le remettait au secrétaire d'État pour les examiner et y répondre.
En sortant de l'audience du roi les ambassadeurs étaient conduits à l'appartement de la reine, des princes et princesses de la famille royale, et présentés avec les mêmes cérémonies. La députation les haranguait, et l'évêque parlait toujours au nom de la province.
Un mois après l'assemblée des états, on tenait dans chaque diocèse une assemblée composée de l'évêque diocésain, des barons, des députés des villes du diocèse, et d'un commissaire du roi, pour faire la répartition ou assiette des sommes données par la province.
Les diocèses du Puy, d'Alby, de Mende et de Viviers avaient des états particuliers.
Dans l'assemblée du Vivarais, les barons avaient le droit de présider, et l'évêque de Viviers n'y venait qu'à son tour en qualité de baron; le reste de l'assemblée était composé du grand bailli du pays, du grand vicaire de l'évêque, comme bailli de Viviers, de douze autres baillis, des treize consuls des villes, avec le syndic des états qui était perpétuel.
Les états du Velay étaient composés de l'évêque du Puy, du vicomte de Polignac, qui présidait à son tour, du commissaire principal qui avait le second, rang, de neuf députés du clergé, de dix-huit barons, de neuf consuls et du syndic qui était annuel.
Les états de Gévaudan étaient composés de l'évêque de Mende ou de son grand vicaire qui présidait, du commissaire principal, des consuls de Mende et de Marvéjols, de six députés du clergé, de huit barons, de dix-huit consuls de villes principales et d'un syndic annuel.
"Une heureuse émulation pour tout ce qui pouvait contribuer au bonheur des peuples de la province régnait dans les divers cantons de cette vaste partie du royaume. Chaque diocèse voulait surpasser les diocèses voisins par la création des plus belles routes, de ports plus sûrs, de ponts plus hardis. Le haut et le bas Languedoc rivalisaient entre eux alors qu'il fallait s'occuper de travaux utiles."
Le diocèse n'était pas seulement une province ecclésiastique, mais une circonscription politique, dont l'évêque était réellement le chef et le protecteur.
"Aux états, dit M. du Mége, on voit constamment les évêques à la tête des commissaires des travaux publics, des manufactures et du commerce; dans les réunions diocésaines, ils prennent toujours l'initiative pour la confection des routes et des canaux, pour la construction des chaussées et des ponts, pour l'amélioration des ports, pour la formation et la dotation des hôpitaux et des colléges, pour l'encouragement des lettres et des arts. Partout leur activité obtient des succès immenses. Le caractère sacré dont ils étaient revêtus donnait à leurs opinions une heureuse influence, une autorité incontestée."
Ils le prouvaient non-seulement par les décisions des états, mais surtout dans les députations à la cour, où ils étaient chargés de porter la parole en offrant au roi le don gratuit et les cahiers des voeux de la province. Toutes les harangues officielles arrivées jusqu'à nous attestent, de la part de nos chefs ecclésiastiques, le plus grand amour des libertés nationales de leur pays d'adoption, et la connaissance la plus approfondie des véritables conditions d'harmonie de notre système représentatif avec la constitution générale du royaume.
"Nous aimons à nous considérer, disait l'archevêque de Narbonne, comme formant dans le sein de la patrie commune une seconde patrie, mais dont l'administration, les vues, les principes ont eux-mêmes assez d'efficacité, assez d'énergie pour concourir avec les autres parties de l'État au bien général du royaume, sans nous ôter la facilité de pourvoir au bien intérieur et particulier de nos concitoyens."
"Notre constitution, disait plus tard Monseigneur de Beausset, évêque d'Alais, offre tous les caractères qui peuvent dans une monarchie placer des sujets et des hommes à une distance égale de la servitude et de la licence, et ceux qui sont chargés d'en faire mouvoir les ressorts peuvent ajouter: défenseurs des peuples confiés à nos soins, nous cherchons à concilier leurs intérêts avec les besoins de l'État dont nous sommes membres, avec les demandes du prince dont nous sommes sujets. Les formes sacrées de la liberté, conservatrices de nos droits, attachent à nos délibérations et à nos sacrifices un prix et un éclat qui les ennoblit aux yeux de Votre Majesté."
Ainsi, pendant que la noblesse faisait respecter nos frontières ou portait au loin la gloire de nos armes, nos évêques veillaient au maintien de ces vieilles institutions qui, selon l'expression de M. de Tocqueville "donnaient aux états de Languedoc une supériorité incontestée sur tous les autres."
Il arriva un jour, sous la minorité de Louis XIV, que l'un des flatteurs du duc d'Orléans osa outrager le prélat chef de l'ambassade; mais celui-ci défendit avec tant de force son caractère de député et d'ambassadeur, qu'il fallut bientôt obtenir de lui le pardon de l'imprudent qui avait osé l'insulter. Ce prélat, écrivait au duc d'Orléans, oncle du roi: "Monseigneur, la province de Languedoc, constamment fidèle à ses rois, croyoit qu'elle seroit désormais, sous la protection de Sa Majesté la reine régente et de Votre Altesse royale, à l'abri des entreprises de ces hommes fléaux des cours, et qui ne sauroient vivre avec quelque honneur sans les bontés des princes qui veulent bien les assister et les élever jusqu'à eux. Mais par l'effet de la bonté, magnanimité et largesse desdits princes, il provient trop souvent qu'ils s'égarent, s'oublient, et pensent qu'ils peuvent, sous couleur de prendre les intérêts de leurs augustes maîtres, violer toutes les règles, fouler aux pieds tous les devoirs, introduire dans le gouvernement et administration d'une nation libre toutes les mauvaises habitudes que l'on ne pourroit souffrir patiemment en un pays, mesme du tout subjet à un conquérant estranger."
Et rappelant la reconnaissance et la confirmation expresse des priviléges, coutumes et franchises des peuples de Languedoc, faites par chacun de nos rois, le prélat ajoutait:
"Ces déclarations ne peuvent être vaines ni caduques. Et qu'on ne dise point que lesdits priviléges ne sont autre chose que des octrois de nos rois de France et des statuts révocables à volonté, car on pourroit montrer qu'ils viennent d'un temps bien antérieur à ces rois. En Languedoc, nous tenons pour une vérité démontrée que nos assemblées provinciales sont une suite et conséquence du régime municipal qui commença à fleurir sous César, et qui fut perfectionné par l'empereur Octave Auguste. L'assemblée générale qu'il tenoit à Narbonne indique en quelle manière le commencement de cette sorte de gouvernement populaire, qui, sans rien ôter au prince, laisse aux habitants le soin de s'occuper en commun de leurs intérêts, s'établit parmi nous. On trouve une foule d'édits, de rescripts et de décrets relatifs à ce droit dans le code Théodosien, qui fut la loi de notre pays depuis sa promulgation. Ce fut alors qu'on vit ces députations, ces ambassadeurs vers le prince, encore en usage aujourd'hui."
Plus on étudie les règlements généraux établis avec la permission du roi, mais d'ordinaire sans son initiative, par les états de Languedoc, dans cette portion de l'administration publique qu'on leur laissait, plus il faut admirer la sagesse, l'équité et la douceur qui s'y montraient; plus les procédés du gouvernement local semblent supérieurs à tout ce qui se voyait dans les pays que le roi administrait seul.
"Le roi n'a pas besoin d'établir à ses frais dans le Languedoc des ateliers de charité, comme il l'a fait dans le reste de la France, disait le mémoire des états cité par M. de Tocqueville; nous ne réclamons point cette faveur; les travaux d'utilité que nous entreprenons nous-mêmes chaque année en tiennent lieu, et donnent à tout le monde un travail productif."
La protection et la sollicitude des états ne s'étendaient pas seulement aux travaux publics; le commerce était encouragé par des primes, et les manufactures par des subventions annuelles destinées à rembourser à la longue les dépenses de construction des fabriques de soie, de drap ou de tissus de Saptes, de la Trivaille, de Pennautier, de Cuxac, de Montolieu, de Clermont-Lodève, de Saint-Chinian, de Bize, d'Aubenas, de la Terrasse et d'Auterive. Leurs libéralités s'étendaient encore aux haras de Ledou, de Berlas, de Lormarié, de Mirabel; aux bains de Balaruc; aux fabriques de brun-rouge à Alais; aux mines de houille et charbon du Vigan et de Ségur.
Les colléges de Sorrèze et de Tournon; les académies des sciences de Toulouse et de Montpellier; les académies de peinture, sculpture et architecture; les sociétés des arts, etc.; avaient leur part dans les gratifications annuelles.
"Malgré toutes ces dépenses, les affaires de Languedoc étaient néanmoins en si bon ordre; et le crédit de la province si bien établi, que le gouvernement central y avait souvent recours et empruntait au nom de la province un argent qu'on ne lui aurait pas prêté à de si bonnes conditions à lui-même. Le Languedoc avait emprunté sous sa propre garantie, mais pour le compte du roi, dans les derniers temps 73,200,000 livres."
"C'est peut-être par les travaux publics, disait le mémoire présenté au roi par les députés des états en 1780, qu'éclate le plus ce qu'on aime à appeler la magnificence du Languedoc; et effectivement lorsque des chemins durs, raboteux et mal entretenus du Dauphiné, du Quercy et de la généralité de Bordeaux, on passe sur les routes unies, faciles et praticables en tout temps du Languedoc; lorsqu'on pense que ces utiles communications commencent à s'étendre dans les parties les plus reculées de cette province; lorsqu'on voit les mêmes soins se porter sur les canaux, les rivières, les ports, et sur toute espèce d'ouvrages publics; lorsqu'on sait que les sommes employées pour ces divers objets montent à près de deux millions chaque année, on est tenté de croire que le Languedoc est la province la plus opulente du royaume et la moins ménagère sur ses dépenses.
"Mais si on voulait considérer l'étendue d'une province qui a deux mille huit cents communautés et dix-huit cent mille habitants; si on voulait penser que tout travail contraint y est proscrit, et que tout s'y fait à prix d'argent; que le Languedoc ne reçoit de secours que de lui-même... les états osent croire que non-seulement la préférence serait donnée à leur administration, mais que l'on reconnaîtrait de plus que dans le Languedoc la dépense est moins grande qu'en proportion des ouvrages."
Chaque classe concourait à l'envi à l'accomplissement des obligations qui lui étaient propres.
"Telle est la sagesse de nos institutions primitives, disait en 1786 l'archevêque de Narbonne, président des états, que c'est toujours au corps entier lui-même qu'appartient la gloire d'avoir bien mérité de la chose publique: elles ont voulu qu'aucune résolution commune ne pût jamais prendre le caractère, la teinte d'aucun des ordres particuliers dont la réunion forme cette assemblée. Ainsi ce n'est ni à l'ordre de la noblesse, ni à l'ordre de l'Église, ni à celui du tiers état que doit être attribué le mérite des délibérations patriotiques qui ont si souvent servi de signal au reste de la nation; elles sont l'ouvrage de la province entière; elles sont l'expression fidèle des sentiments d'un grand peuple manifestée par ses représentants."
De tous les témoignages qui honorent les états de Languedoc, l'un des plus glorieux, sans aucun doute, est celui de l'auteur de Télémaque. Plein d'admiration pour cette assemblée, Fénelon conseillait au duc de Bourgogne d'établir à son avénement au trône de pareils états dans toutes les provinces, "avec pouvoir de policer, corriger, destiner les fonds, d'écouter les représentations des députés des assiettes, de mesurer les impôts sur la richesse naturelle du pays, du commerce qui y fleurit, etc.."
C'est à la généreuse initiative des états que nous devons la publication de l'Histoire de la province de Languedoc. Le plan en avait été d'abord tracé par les deux archevêques de Narbonne, M. de la Berchère, et M. de Beauveau, son successeur, qui en confièrent la rédaction aux religieux de la congrégation de Saint-Maur. Plus tard Albisson fut chargé de recueillir les Lois municipales de Languedoc."
Pour donner une idée de l'importance et de l'étendue des attributions de ces assises provinciales, voici le nom des commissions dans lesquelles les représentants du tiers état avaient autant de représentants que les deux premiers ordres: commission des affaires extraordinaires; commission des manufactures; commission d'agriculture; commission des travaux publics de la province; commission des impositions des diocèses; commission du cahier à présenter au roi; commission de la ligne d'étape; commission des comptes; bureau des recrues; commission pour la vérification des dettes et des impositions des communautés et des diocèses.
"A la fin de la dernière séance des états, disent les chroniques, les musiciens entraient, et, après que l'on avait remercié Dieu, le président de l'assemblée, qui était toujours un archevêque ou un évêque, bénissait l'assemblée." Ce pieux usage s'est conservé jusqu'à la séance des états de la province tenue le 21 février 1789. "Ensuite, dit le dernier procès-verbal, les musiciens, étant entrés, ont chanté le Te Deum, après lequel Monseigneur l'archevêque de Narbonne a donné la bénédiction qui a été la fin des états." Ainsi se sont terminées, sous les auspices de la religion, ces assemblées dont l'origine avait devancé de plusieurs siècles celle de notre monarchie. Le souvenir de leurs utiles travaux est encore vivant dans tous les coeurs languedociens; et leurs sages délibérations, qui ont fait si longtemps la gloire et la prospérité de la patrie, attestent la sagacité autant que l'énergique vigilance des gardiens de nos libertés provinciales.

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